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LE MONSTRE, OU LE SENS DE L'ECART ESSAI SUR UNE ...

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tel-00846655, version 1 - 19 Jul 2013<br />

Saint-Hilaire, parce qu’il déploie, dans l’élément de la visibilité, la loi sous laquelle se<br />

tiennent les formes vivantes dans leur organisation ; il ne dévoile pas la borne qui arrêterait la<br />

vie, au-delà de laquelle elle s’annihilerait comme vie, puisqu’en la vie s’abolit toute borne. Il<br />

ne s’agit pas de définir dans le monstre une limitation de la vie, qui serait, en effet,<br />

franchement contradictoire avec l’errance qui la caractérise. Si donc le monstre est le vivant<br />

de la limite, c’est parce qu’il est bien plutôt ce dans quoi la vie déploie toute sa puissance,<br />

puisqu’elle va jusqu’à déployer, en cette limite, l’impuissance. A ce titre, et sans effet de<br />

paradoxe, le monstre est un grand vivant malgré et par-delà les faiblesses, les défauts, les<br />

ratés, la précarité de son existence, dans la mesure où il ne représente aucune rupture, aucune<br />

déchirure dans la puissance errante de la vie, mais, bien au contraire, l’un des points où la vie,<br />

en son errance, se ressaisit comme errance, où elle n’est finalement pas séparée de ce qu’elle<br />

peut, où elle va jusqu’au bout d’elle-même. Deleuze fait pourtant remarquer que « “jusqu’au<br />

bout” définit encore une limite » 1 . Mais c’est pour ajouter aussitôt que « la limite, πέρας, ne<br />

désigne plus ici ce qui maintient la chose sous une loi, ni ce qui la termine, ou la sépare, mais<br />

au contraire ce à partir de quoi elle se déploie et déploie toute sa puissance ; l’hybris cesse<br />

d’être simplement condamnable, et le plus petit devient l’égal du plus grand dès qu’il n’est<br />

pas séparé de ce qu’il peut » 2 .<br />

La hiérarchie, ou la classification, si elle a encore un sens, ne peut plus s’établir en<br />

fonction d’une limite qui serait comprise comme un archétype mesurant les degrés<br />

d’éloignement des êtres vivants par rapport à lui. La vie, dans sa pure indétermination, dissout<br />

toute légitimité d’une forme à être un archétype, étant elle aussi le produit d’une errance<br />

vitale. En revanche, une hiérarchie a un sens dès lors qu’elle se place du point de vue de la<br />

puissance, autrement dit dès lors qu’elle examine dans quelle mesure les êtres vivants déplient<br />

la puissance de la vie en allant au bout de ce qu’ils peuvent, c’est-à-dire en laissant en eux la<br />

vie aller aussi au bout de ce qu’elle peut. A ce titre, le monstre n’est pas échec, ratage,<br />

impuissance, mais encore de la vie dans la positivité de sa puissance errante, nomade,<br />

disparate, laissant être en elle-même la multiplicité des formes. La mesure permettant<br />

d’établir cette hiérarchie de puissance est finalement, comme le note très à propos Deleuze,<br />

« plus proche de la démesure », de sorte que cette hiérarchie est « plus proche de l’hybris et<br />

de l’anarchie des êtres » 3 . Cette mesure est « le monstre de tous les démons » 4 . Entendons<br />

alors : le monstre est la mesure dans cette hiérarchie. Le renversement est complet par rapport<br />

à la classification proposée par Geoffroy Saint-Hilaire, où il s’agissait bien de classer les<br />

1 Différence et répétition, Paris, PUF « épiméthée », 1968, p. 55. A l’inverse, I. Geoffroy Saint-Hilaire tente de<br />

définir les limites de la monstruosité, c’est-à-dire cherche à en tracer les contours, de telle sorte qu’il soit capable<br />

de faire le départ entre une monstruosité et ce qui n’en est pas une. C’est pourquoi les limites de la monstruosité<br />

sont, chez lui, celles qui tracent les cases du tableau de l’ensemble des anomalies. Il est donc question d’une<br />

délimitation spatiale, et non de la saisie de tout ce que peut la puissance de la vie, non de la limite de sa<br />

puissance.<br />

2 Ibid., p. 55.<br />

3 Ibid., p. 55.<br />

4 Ibid., p. 55.

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