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LE MONSTRE, OU LE SENS DE L'ECART ESSAI SUR UNE ...

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tel-00846655, version 1 - 19 Jul 2013<br />

elle » 1 . De là les luttes entre les espèces vivantes, mais, surtout, de là aussi le retournement<br />

métaphysique de la réussite des espèces en un échec de la vie à poursuivre l’élan vital sur tous<br />

les points, dans toutes les voies que cet élan vital lui-même a ouverts. Il y a des vivants qui<br />

sont une impasse pour la vie, mais qui masquent une telle impasse sous le couvert d’une<br />

réussite adaptative. Le monstre, en présentant une forme qui a échoué du point de vue de<br />

l’adaptation, dévoile finalement ce que tout vivant, selon Bergson, est potentiellement pour la<br />

vie : une impasse vitale. Il y a ainsi une véritable contradiction à vouloir dégager la nature du<br />

mouvement de la vie à partir du monstre, dès lors que celui-ci en montre, au contraire, son<br />

arrêt le plus flagrant. Il y a, par conséquent, bien une leçon que le monstre permet de dégager<br />

de tout vivant en général : le hiatus virtuel entre le mouvement de la vie et les formes vivantes<br />

individuées que ce même mouvement porte à l’existence.<br />

Rien de moins évident, donc, que de voir dans le monstre ce qui rattache tout vivant en<br />

général à la vie même. Quand bien même nous concevons son mouvement comme errance<br />

vitale et non plus comme élan vital, le problème est de comprendre en quoi la répétition du<br />

même, dans l’ordre vital, est la reconduction, à un autre niveau, celui des organismes vivants<br />

individuels, de l’errance vitale. Comment celle-ci peut-elle donner, phénoménologiquement si<br />

l’on peut dire, l’engendrement du semblable par le semblable sans se contredire ? Ce que nous<br />

pourrions appeler le problème Bergson est celui de l’articulation entre la vie et les vivants.<br />

Alors que Bergson verrait dans le monstre un des « lieux » où se marque de la manière la plus<br />

visible l’écart ente la vie et les vivants, nous pensons, à l’inverse, qu’il en est la plus<br />

déterminante médiation. Mais pour ce faire, il importe d’opérer une triple conversion – voire<br />

une triple transvaluation. Premièrement, il ne faut pas considérer que le monstre, comme<br />

vivant de valeur négative, soit justement une négation. Le monstre n’est pas un vivant<br />

négatif ; il est un vivant de la limite, vivant à la limite. Deuxièmement, de ce qu’il se situe à et<br />

sur la limite, il faut se dégager de tout paradigme de la profondeur. Le monstre ne montre pas<br />

la profondeur : celle de l’organisme, celle de la vie, comme si organisme et vie renvoyaient à<br />

une obscurité, à une intériorité qui ne se laisserait voir que dans de rares concours de<br />

circonstances. Le monstre, au contraire, renvoie à la surface, est un être superficiel, de<br />

superficie 2 . Troisièmement enfin, il convient de se défaire de la notion d’accident : le monstre<br />

n’est pas un être accidentel ; il est un événement, il fait événement. C’est en tirant les<br />

conséquences de ces trois renversements que nous pensons montrer que la vie de n’importe<br />

quel vivant participe pleinement et absolument de ce que le monstre fait voir 3 .<br />

1 Ibid., p. 255.<br />

2 Nous cherchons à tirer toutes les conséquences philosophiques d’une des caractéristiques de la définition de la<br />

monstruosité par I. Geoffroy Saint-Hilaire, à savoir qu’elle a nécessairement des répercussions sur la forme<br />

extérieure du corps.<br />

3 Ce triple renversement, comme on peut le constater, fait appel à des concepts travaillés par la philosophie de<br />

Deleuze. Ce faisant, nous ne cherchons pas à livrer une interprétation de sa philosophie ; mais nous nous servons<br />

de certains de ses concepts comme autant d’outils pertinents pour avancer dans le problème qui est le nôtre.

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