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LE MONSTRE, OU LE SENS DE L'ECART ESSAI SUR UNE ...

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tel-00846655, version 1 - 19 Jul 2013<br />

résoudre un problème 1 –, dans les deux cas, toutefois, nous ne sortons pas du point de vue de<br />

l’intelligence, puisque l’un et l’autre sens mettent en jeu, pour le premier le mécanisme, pour<br />

le second le finalisme, qui ne peuvent permettre de saisir ce qu’est la vie en son mouvement<br />

même. Celui-ci n’est pas un mouvement visant l’adaptation, mais un mouvement créateur.<br />

Aussi le monstre représente-t-il finalement une double impasse – épistémologique et<br />

métaphysique.<br />

Impasse épistémologique, si l’on demande, comme le font les tératologues, à ce que<br />

les monstres nous fassent pénétrer dans la vie en son être même, puisqu’ils ne sont monstres<br />

que pour et par l’intelligence. Or, celle-ci n’est rien d’autre que la faculté de fabriquer des<br />

instruments inorganisés 2 , qui exige qu’elle conçoive la matière comme décomposable et<br />

recomposable à volonté 3 . L’intelligence est donc à l’aise dans la matière, à travers laquelle<br />

elle va abstraire un espace homogène, vide, infini et infiniment divisible. En se tournant vers<br />

les vivants, l’intelligence va donc, selon sa logique propre, déceler en eux des instruments,<br />

des organes, et chercher à recomposer l’organisé à partir de l’inorganisé – d’où sa surprise<br />

lorsqu’elle tombe sur des monstres qui contreviennent à la logique de l’utilité et de<br />

l’adaptation. Mais cette logique de l’intelligence est la vie même de l’intelligence :<br />

Elle est la vie regardant au-dehors, s’extériorisant par rapport à elle-même, adoptant en<br />

principe, pour les diriger en fait, les démarches de la nature inorganisée. De là son étonnement<br />

quand elle se tourne vers le vivant et se trouve en face de l’organisation. Quoi qu’elle fasse<br />

alors, elle résout l’organisé en inorganisé. 4<br />

Le mouvement créateur de la vie aboutit à un vivant dont la faculté est de regarder la vie<br />

comme si elle n’était pas la vie. Si les scientifiques se tournent vers l’intelligence pour avoir<br />

une prise sur les vivants, pour agir sur eux et en eux, ils ont raison de le faire 5 ; mais s’ils se<br />

tournent vers l’intelligence pour connaître la vie, pour la voir et la pénétrer en son essence<br />

même, pour spéculer, ils ne pourront saisir de la vie que ce qui se rapporte à la matière, que ce<br />

qui touche à la matière de la vie, mais jamais ils n’auront affaire à la vie en elle-même.<br />

Cependant, si le monstre est une impasse épistémologique, il est aussi une impasse<br />

métaphysique ; et la première n’est qu’une conséquence de la seconde. En effet, nous dit<br />

Bergson, « la vie, en évoluant, se distrait souvent d’elle-même, hypnotisée sur la forme<br />

qu’elle vient de produire » 6 , d’autant plus hypnotisée si cette forme justement réussit. C’est<br />

pourquoi les organismes vivants, en leur individualité, ne visent que leur perpétuation ouvrant<br />

la lignée à une espèce. Aussi « chaque espèce se comporte comme si le mouvement général de<br />

la vie s’arrêtait à elle au lieu de la traverser. Elle ne pense qu’à elle, elle ne vit que pour<br />

1 Ibid., pp. 58-59.<br />

2 Cf. ibid., p. 141.<br />

3 Cf. ibid., p. 157.<br />

4 Ibid., p. 162.<br />

5 « Maintenant, quand l’intelligence aborde l’étude de la vie, nécessairement elle traite le vivant comme l’inerte<br />

appliquant à ce nouvel objet les mêmes formes, transportant dans ce nouveau domaine les mêmes habitudes qui<br />

lui ont si bien réussi dans l’ancien. Et elle a raison de le faire, car à cette condition seulement le vivant offrira à<br />

notre action la même prise que la matière inerte. », ibid., p. 197.<br />

6 Ibid., p. 105.

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