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LE MONSTRE, OU LE SENS DE L'ECART ESSAI SUR UNE ...

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383<br />

tel-00846655, version 1 - 19 Jul 2013<br />

Il faut d’abord répéter que l’errance vitale nomme ce qu’il y a de vital dans la vie : non<br />

une entité, mais le sens d’être de la vie, ce qui fait que la vie est vie. Il n’y a donc rien de vital<br />

en deçà de l’errance ; il n’y a pas une entité substantielle qui errerait dans la mesure où<br />

l’errance interdit toute unité substantielle. La vie est pure multiplicité. Soit, répondra-t-on,<br />

pour la substance : ce n’est pas elle qui erre ; mais il doit bien y avoir quelque chose qui erre.<br />

Or, pour errer, encore faut-il pouvoir le faire, c’est-à-dire en avoir la force. Etant entendu que<br />

la force ne peut renvoyer à un sujet possédant la force – sujet qui introduirait à nouveau une<br />

logique substantielle, ce qui a été écarté –, il ne reste plus que la force elle-même pour être le<br />

sujet de l’errance. Une force errerait, si bien que qualifier la vie d’errance vitale serait<br />

retomber dans le vitalisme classique qui assignait comme cause aux phénomènes vitaux une<br />

force, ou un principe vital. Nous ne sommes pas vitalistes, car nous ne faisons la<br />

présupposition d’aucune force. Ce serait, en effet, pécher par trop de modestie, comme le<br />

reconnaît Canguilhem, dans la mesure où le postulat d’une force vitale découle de<br />

l’acceptation implicite d’un territoire physico-chimique à l’intérieur de laquelle cette force se<br />

coule en délimitant « des enclaves d’indétermination, des zones de dissidence, des foyers<br />

d’hérésie » 1 . De deux choses l’une : ou bien l’on considère la matière et ses lois comme seuls<br />

principes d’explication, et l’on cherche alors à ramener le vivant sous la législation des lois de<br />

la matière (les physiciens sont alors logiques « poussant à bout l’expansion de la logique ou la<br />

logique de l’expansion » 2 ), ou bien l’on tient l’originalité de la vie comme irréductible à la<br />

matière, mais il faut alors « “ comprendre” la matière dans la vie et la science de la matière,<br />

qui est la science tout court, dans l’activité du vivant » 3 , et non chercher à faire une sorte de<br />

mixte, où l’on fixe les légitimités des pouvoirs de la matière et de la vie. Le vitaliste, voulant<br />

porter haut les protestations de la vie face à la matière et à son fonctionnement qu’il pense<br />

mécanique, considère la vie comme une conquête sur la matière. Mais, ce faisant, il ne<br />

s’aperçoit pas qu’il traite les vivants comme de simples effets de tolérance octroyée par la<br />

matière. Si donc nous acceptons de prendre provisoirement en charge la question de savoir ce<br />

qui erre, il ne peut s’agir d’une force. Nous répondrions alors volontiers que ce qui erre, c’est<br />

une puissance.<br />

Mais cette réponse n’est-elle pas, en quelque sorte, pire que la précédente ? La notion<br />

de puissance a pu apparaître comme une cause occulte. Elle renverrait elle aussi à d’obscures<br />

entités. Pourtant, rien de flou et de mystérieux dans ce concept. La force est nécessairement<br />

relative, car elle nécessite la présence d’une résistance contre laquelle elle trouve à se<br />

déployer et grâce à laquelle elle peut se représenter comme force 4 . Or, lorsqu’on observe des<br />

vivants, ne faisons-nous pas le constat d’une nécessaire relation à l’extérieur pour qu’ils<br />

puissent précisément vivre ? Si les vivants sont vivants, c’est par une capacité à se maintenir<br />

1 Ibid., p. 95.<br />

2 Ibid., p. 95.<br />

3 Ibid., p. 95.<br />

4 Cf. chapitre VII, supra p.305.

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