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LE MONSTRE, OU LE SENS DE L'ECART ESSAI SUR UNE ...

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380<br />

tel-00846655, version 1 - 19 Jul 2013<br />

peut cependant être elle-même une errance, sinon au prix de sa propre disparition en tant que<br />

pensée. Une pensée qui erre est une pensée qui ne pense pas. Le problème sera bien de<br />

déterminer la pensée comme activité vitale, comme immanente à la vie, tout en s’assurant<br />

qu’elle ne reconduise pas pour autant l’errance vitale. En d’autres termes, il faudra faire en<br />

sorte de séparer l’acte de penser de l’errance vitale tout en n’introduisant aucun hiatus entre la<br />

pensée et la vie.<br />

Pas plus que la vie n’est le signe de la présence d’une transcendance, elle ne peut être<br />

comprise elle-même comme transcendance. On pourrait en effet arguer de la présence de la<br />

pensée dans un vivant pour postuler l’idée qu’elle n’a pu être donnée que parce que la vie<br />

transcende ses manifestations, que parce que la vie ne se ramène pas aux vivants qui<br />

l’expriment. Il y aurait ainsi un écart irréductible entre l’exprimé et ceux qui expriment – une<br />

perdition dans le passage de l’exprimé aux exprimants, sauf à un point précis, la pensée, où le<br />

vivant rejoindrait cela même qui le fait être. Mais postuler la vie comme errance vitale bloque<br />

toute velléité d’interprétation de la vie comme transcendance. En effet, il manquerait alors à<br />

cette transcendance un de ses attributs essentiels, la perfection, ou du moins sa perfection en<br />

rapport de ceux vis-à-vis de quoi elle est transcendance. Car errer, c’est inclure en soi<br />

l’imperfection, le négatif, le manquement, l’impuissance ; c’est, dès lors, interdire tout écart<br />

« ontologique » entre l’errance et les produits qui en émanent ; c’est, en conséquence,<br />

instaurer un strict plan d’immanence entre la vie et les vivants. Chaque vivant particulier se<br />

tient en elle et renvoie à elle comme à ce qu’il est. Aussi la vie est-elle ce qui confère une<br />

consistance à l’immanence, de sorte qu’il n’y a rien d’autre d’immanent que la vie. Se tenant<br />

toujours auprès d’elle-même dans l’errance qui la caractérise, elle se retrouve toujours en ellemême<br />

dans chaque vivant. Mais, si chaque vivant se rapporte à la vie en se tenant en elle<br />

parce qu’étant d’elle, si chaque vivant est toujours une manière pour la vie d’être elle-même,<br />

et si, par ailleurs, la vie est errance vitale, la conséquence inévitable est que chaque vivant<br />

devrait manifester et déployer, à son niveau, une errance vitale. Or, rien de tel : les vivants<br />

n’errent pas ; au contraire, ils s’efforcent de persévérer dans leur être. Comment continuer à<br />

affirmer que, tournés vers des fins qui confèrent à leur vie une cohérence, ils n’en expriment<br />

pas moins une errance vitale ? De même que l’articulation entre la pensée et la vie comme<br />

errance vitale fait problème, de même apparaît ici un possible hiatus entre la vie et les vivants,<br />

que nous pensions pourtant avoir écarté en refusant l’idée bergsonienne d’élan vital – hiatus<br />

qui est des plus fâcheux dès lors que nous définissons la vie comme ce qui donne sens à<br />

l’immanence. Drôle d’immanence en fait que celle qui reconduirait une séparation entre ellemême<br />

et les êtres supposés appartenir à son plan d’immanence. Nous verrons que ce problème<br />

est central, et nous aurons à le repréciser avant d’examiner comment nous pouvons y<br />

répondre, c’est-à-dire comment nous pouvons conserver le sens d’être de la vie en chaque<br />

vivant comme errance vitale 1 .<br />

1 Ce problème fera l’objet du chapitre suivant.

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