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LE MONSTRE, OU LE SENS DE L'ECART ESSAI SUR UNE ...

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tel-00846655, version 1 - 19 Jul 2013<br />

civile et l’histoire naturelle, et si l’étude de l’histoire civile est celle « des hommes d’Etat, la<br />

seconde est celle des philosophes » 1 . L’ambition de Buffon n’est rien d’autre que celle de la<br />

philosophie : rendre intelligible la totalité de la nature. Faire donc une histoire naturelle<br />

générale, c’est ambitionner de restaurer la philosophie de la nature, que Buffon juge avoir été<br />

plus que négligée 2 . La question se repose donc : quelle est la place et la finalité des monstres<br />

dans une histoire naturelle générale ? Quel traitement Buffon leur réserve-t-il ? Car ils<br />

apparaissent en effet à première vue des plus problématiques pour sa méthode. Il nous faut<br />

donc voir rapidement quels sont les traits majeurs de cette méthode buffonienne avant<br />

d’examiner ce que le monstre, comme fait naturel, aurait de problématique.<br />

De prime abord, plutôt que le monstre, il semble que ce soit la nature qui constitue<br />

l’objet problématique d’une méthode ayant la prétention d’élaborer une histoire naturelle<br />

générale. Nous avons pu noter le sentiment d’impuissance – définitive ? – de nos moyens de<br />

connaissance devant l’immensité des faits de la nature. N’est-il pas alors plus raisonnable, et<br />

dès lors aussi plus rationnel, de se contenter des « petites attentions d’un instinct laborieux qui<br />

ne s’attache qu’à un seul point » 3 ? Comment, avec le même objet – le « vaste spectacle » 4 de<br />

la nature –, Buffon peut-il ambitionner d’atteindre le général, d’embrasser la nature en grand,<br />

en un mot d’en constituer la science ? La difficulté se renforce lorsque Buffon reconnaît,<br />

comme tous les auteurs d’histoire naturelle, que le seul point de départ légitime est<br />

l’observation. Comment, à partir de l’observation, nécessairement tronquée, nécessairement<br />

imparfaite, nécessairement débordée par son objet, quand bien même elle atteint à<br />

l’objectivité, peut-on raisonnablement viser une histoire générale ?<br />

Décrire, généraliser, comparer<br />

Si Buffon part bien de l’observation, à la différence des autres auteurs des histoires<br />

naturelles particulières, il lui prête une portée épistémologique accrue. Trois caractéristiques<br />

peuvent en être dégagées. La première paraît être partagée par l’ensemble des auteurs<br />

d’histoires naturelles : par l’observation, il s’agit bien de décrire les êtres naturels. Décrire ne<br />

consiste pas seulement à noter et relever « la forme, la grandeur, le poids, les couleurs, les<br />

situations de repos et de mouvements, la position des parties, leurs rapports, leur figure, leur<br />

action et toutes les fonctions extérieures » 5 , mais à relater aussi l’histoire, qui a à « rouler sur<br />

1 HN, Premier Discours : De la manière, p. 45.<br />

2 « Dans ce siècle même où les sciences paraissent être cultivées avec soin, je crois qu’il est aisé de s’apercevoir<br />

que la philosophie est négligée, et peut-être plus que dans aucun autre siècle ; les arts qu’on veut appeler<br />

scientifiques, ont pris sa place ; les méthodes de calcul et de géométrie, celles de botanique et d’Histoire<br />

naturelle, les formules en un mot, et les dictionnaires occupent presque tout le monde ; on s’imagine savoir<br />

davantage, parce qu’on a augmenté le nombre des expressions symboliques et des phrases savantes, et on ne fait<br />

point attention que tous ces arts ne sont que des échafaudages pour arriver à la science, et non pas la science ellemême,<br />

qu’il ne faut s’en servir que lorsqu’on ne peut s’en passer, et qu’on doit toujours se défier qu’ils ne<br />

viennent à nous manquer lorsque nous voudrons les appliquer à l’édifice », ibid., p. 59.<br />

3 Ibid., p. 30.<br />

4 Ibid., p. 29.<br />

5 Ibid., p. 45.

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