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LE MONSTRE, OU LE SENS DE L'ECART ESSAI SUR UNE ...

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373<br />

tel-00846655, version 1 - 19 Jul 2013<br />

Bergson ne cesse pas de rappeler 1 , est absolument cruciale pour comprendre deux points<br />

fondamentaux.<br />

La complexité des organismes vivants cesse d’étonner dès lors qu’on ne la comprend<br />

plus comme le résultat d’une somme de causes mécaniques, mais comme la déposition dans la<br />

matière d’un mouvement, d’un élan indivisé qui s’est arrêté. Organiser, c’est créer, non pas<br />

positivement, mais négativement, à savoir : l’organisme représente un ensemble d’obstacles<br />

contournés par une force finie qui est amenée à s’épuiser. Les êtres vivants sont autant de<br />

points d’arrêt de l’élan vital, sont autant de stations d’une force limitée. Bergson renverse<br />

complètement la perspective par rapport à la position de la théologie naturelle. Celle-ci voyait<br />

dans la complexité des êtres vivants la preuve d’une force nécessairement infinie et toute<br />

puissante – la force créatrice de l’homme, limitée, ne pouvant arriver à un tel résultat. Le tort<br />

de la théologie naturelle est précisément de concevoir les êtres vivants en terme de<br />

fabrication ; dès lors qu’on les comprend comme des êtres organisés exigeant un acte créateur,<br />

cet acte est simple et un, et nécessairement fini, de sorte que la complexité n’est que la<br />

retombée de la force explosive au sein de la matière 2 . La négation que représentent la finitude<br />

et la limitation de l’élan vital confère à celui-ci une véritable puissance créatrice. Créer<br />

réclame une puissance qui ne soit justement pas toute puissante. Mais la finitude de l’élan<br />

vital explique tout autant que l’évolution créatrice ne puisse conserver dans une unité virtuelle<br />

toutes les tendances : la limitation conduit à ce que l’actualisation soit une différenciation, à<br />

ce que des lignes divergentes apparaissent s’éloignant toujours plus au fur et à mesure de<br />

l’évolution. Ainsi en va-t-il des deux grandes lignes que sont l’instinct et l’intelligence :<br />

Si la force immanente à la vie était une force illimitée, elle eût peut-être développé<br />

indéfiniment dans les mêmes organismes l’instinct et l’intelligence. Mais tout paraît indiquer<br />

que cette force est finie, et qu’elle s’épuise assez vite en se manifestant. Il lui est difficile<br />

d’aller loin dans plusieurs directions à la fois. Il faut qu’elle choisisse. 3<br />

Les êtres vivants ne portent donc pas en eux la totalité du sens de l’élan vital. Plus<br />

grave, en cherchant à répéter leur forme, en visant leur propre conservation, ils deviennent<br />

antagonistes, ils luttent les uns contre les autres, ils manifestent une disharmonie qui recouvre<br />

l’unité à laquelle tous pourtant participent, et ils peuvent, de ce fait, constituer un arrêt du<br />

1 Cf. ibid. pp. 105 ; 142 ; 150 ; 254.<br />

2<br />

« Plus précisément, nous comparions le procédé par lequel la nature construit un œil à l’acte simple par lequel<br />

nous levons la main. Mais nous avons supposé que la main ne rencontrait aucune résistance. Imaginons qu’au<br />

lieu de se mouvoir dans l’air, ma main ait à traverser de la limaille de fer qui se comprime et résiste à mesure que<br />

j’avance. A un certain moment, ma main aura épuisé son effort, et, à ce moment précis, les grains de limaille se<br />

seront juxtaposés et coordonnés en une forme déterminée, celle même de la main qui s’arrête et d’une partie du<br />

bras. Maintenant, supposons que la main et le bras soient restés invisibles. Les spectateurs chercheront dans les<br />

grains de limaille eux-mêmes, et dans les forces intérieures à l’amas, la raison de l’arrangement. Les uns<br />

rapporteront la position de chaque grain à l’action que les grains voisins exercent sur lui : ce seront les<br />

mécanistes. D’autres voudront qu’un plan d’ensemble ait présidé au détail de ses actions élémentaires : ils seront<br />

finalistes. Mais la vérité est qu’il y a tout simplement eu un acte indivisible, celui de la main traversant la<br />

limaille : l’inépuisable détail du mouvement des grains ainsi que l’ordre de leur arrangement final expriment<br />

négativement, en quelque sorte, ce mouvement indivisé, étant la forme globale d’une résistance et non une<br />

synthèse d’actions positives élémentaires », ibid., p. 95.<br />

3 Ibid., p. 142.

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