28.02.2014 Views

LE MONSTRE, OU LE SENS DE L'ECART ESSAI SUR UNE ...

LE MONSTRE, OU LE SENS DE L'ECART ESSAI SUR UNE ...

LE MONSTRE, OU LE SENS DE L'ECART ESSAI SUR UNE ...

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

363<br />

tel-00846655, version 1 - 19 Jul 2013<br />

cosmologique d’être sublunaire. Les monstres et les écarts en général dans la génération<br />

appartiennent nécessairement à la nature sublunaire, de sorte qu’elle reste bien fidèle à ce<br />

qu’elle est en son essence en accueillant l’accident. En d’autres termes, si la nécessité du<br />

monstre proprement dit est accidentelle, il est nécessaire qu’une nécessité accidentelle se<br />

déploie pour que la nature rejoigne sa nature d’être sublunaire. Ce qui, toutefois, commande à<br />

la nature de se viser et de se conserver, bref ce qui l’enjoint de toujours viser le meilleur dans<br />

les conditions qui sont les siennes (présence de la matière) 1 , c’est, pour Aristote, la présence<br />

d’une autre nature, non accidentelle, éternelle, où les êtres sont toujours ce qu’ils ont à être, la<br />

nature supralunaire. Si les monstres sont d’une certaine façon conformes à la nature, c’est<br />

parce que la nature supralunaire est éternellement fidèle à elle-même et constitue ainsi ce que<br />

la nature sublunaire vise à travers ses propres productions affrontant la contingence 2 .<br />

L’accident apparaît donc comme l’un des facteurs permettant à la nature vivante de<br />

déployer la finalité, car c’est par son moyen qu’elle se prend elle-même pour fin. Mais le<br />

monstre proprement dit rappelle tout autant que ce moyen peut se retourner en un obstacle ; il<br />

est le prix que la nature paye pour pouvoir toujours se viser ; il est, par conséquent,<br />

l’irréductible reste d’un devenir contingent que la nature sublunaire veut surmonter pour<br />

rejoindre son essence supralunaire ; il est, ainsi, à la fois, ce qui assigne la nature au statut<br />

d’être sublunaire et ce qui l’ouvre à la visée de la perfection de la nature supralunaire. Il est<br />

tout autant le manquement de la nature à sa véritable essence que l’indice de son mouvement<br />

pour se rejoindre elle-même, de sorte qu’il est bien, si l’on veut, un être contre nature à travers<br />

lequel la nature, pourtant, cherche à être fidèle à elle-même. En d’autres termes, il est là pour<br />

rappeler la nécessité de la matière qui institue la nature comme nature sublunaire.<br />

Mais ce renversement aristotélicien permettant d’intégrer à la vitalité de la nature la<br />

non vitalité suffit-il à saisir et comprendre ce que nous voulons penser quand nous disons que<br />

la vie est pure indétermination ? Nous pouvons faire deux critiques.<br />

La première concerne l’idée de finalité. Aristote peut faire ce renversement, parce<br />

qu’il met au premier plan la cause finale. S’il y a un principe final immanent à la nature, alors<br />

les échecs de la nature doivent bien correspondre à l’activité même de ce principe. On a pu<br />

voir que ces échecs ne sont rien d’autre que l’expression de la finalité se visant elle-même : en<br />

effet, elle ne peut continuer à s’accomplir que si, dans la nature même, quelque chose<br />

1 Aussi, un écart qui se répète dans la génération, qui devient habituel, n’est plus un monstre : cf. De la<br />

génération des animaux, op. cit., IV, 4, 770 b 15-27, p. 155.<br />

2 « En effet le monstre appartient à la catégorie des phénomènes contraires à la nature, à la nature considérée non<br />

pas dans sa constance absolue, mais dans son cours ordinaire : car du point de vue de la nature éternelle et<br />

soumise à la nécessité, rien ne se produit contre nature, alors que c’est l’inverse dans les phénomènes qui, dans la<br />

généralité des cas, sont d’une façon, mais peuvent aussi être autrement », De la génération des animaux, op. cit.,<br />

IV, 4, 770 b 10-15, p. 155. Cf. P. Aubenque, Le problème de l’être chez Aristote, quadrige / PUF, 1991, pp. 388-<br />

390, notamment : « L’accident est, en effet, nécessaire au niveau de l’ensemble, car, s’il n’y avait pas d’accident<br />

dans le monde le monde ne serait pas ce qu’il est » (p. 388) ; « le paradoxe de la finalité est qu’elle tend à<br />

supprimer la séparation entre la fin et ce dont elle est la fin, entre la perfection et l’imparfait qui est pourtant la<br />

condition de son exercice ; si l’on veut donc comprendre qu’elle ne se détruit pas en s’accomplissant, il faut<br />

admettre que cet accomplissement n’est jamais total, qu’il comporte une part irrémédiable d’“impuissance” »<br />

(pp. 388-389).

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!