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LE MONSTRE, OU LE SENS DE L'ECART ESSAI SUR UNE ...

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355<br />

distinguant de celle du hasard, donne lieu, quant à la nature de la vie, à deux interprétations<br />

possibles de l’idée de puissance.<br />

tel-00846655, version 1 - 19 Jul 2013<br />

Indétermination et puissance. Sur Aristote<br />

La première est celle-ci : la vie est indéterminée car elle peut tout, c’est-à-dire elle est<br />

en puissance toute détermination formelle. Sa puissance renverrait ainsi à une plasticité<br />

première qui serait celle d’un réceptacle. Or, nous disposons d’un modèle théorique très précis<br />

pour penser un tel réceptacle : la matière telle qu’Aristote la caractérise. En effet, elle est « ce<br />

qui n’est par soi ni existence déterminée, ni d’une certaine quantité, ni d’aucune autre des<br />

catégories qui déterminent l’être » 1 , mais le support, le substrat grâce auquel les attributs sont.<br />

Or, la substance « est ce qui n’est pas prédicat d’un sujet, mais (…) c’est d’elle que tout le<br />

reste est prédicat » 2 de sorte que l’on pourrait soutenir que « la matière apparaît donc<br />

nécessairement, à ce point de vue, comme la seule substance » 3 . Il ne pourrait donc y avoir<br />

d’être substantiel qu’indéterminé, car c’est cette indétermination même qui lui assure de ne<br />

jamais être prédicat d’autre chose et qui lui permet, à l’inverse, de pouvoir recevoir n’importe<br />

quel prédicat, bref n’importe quelle détermination. Mais, aux yeux d’Aristote, c’est<br />

précisément le caractère indéterminé de la matière qui interdit qu’on la considère comme<br />

substance, car elle manque alors un de ses caractères essentiels : « d’être séparable et d’être<br />

une chose individuelle » 4 . N’en va-t-il pas de même de la vie, qui, comme pure<br />

indétermination, serait ainsi comprise comme sans qualité et non substantielle ? Etant de<br />

l’être, il lui manquerait cependant d’être un être par elle-même. En qualifiant la vie comme<br />

pure indétermination, ne la ramenons-nous pas, dès lors, conceptuellement parlant, à la<br />

matière ? C’est-à-dire : cherchant ce qu’il y a de vital dans la vie, nous serions conduits à faire<br />

reposer ce vital dans ce que seule la matière peut : être une puissance de réceptacle. Or,<br />

Aristote n’envisage absolument pas de faire reposer le sens du phénomène de la vie dans la<br />

matière. Bien au contraire, il considère que le phénomène de la vie conduit à devoir poser un<br />

principe vital identifié à l’âme, qui détermine la matière à être une matière vivante en<br />

actualisant ce qu’elle ne contient qu’en puissance. En effet, l’âme se définit comme « la forme<br />

d’un corps naturel ayant la vie en puissance » 5 . Le paradoxe est alors le suivant : qualifier la<br />

vie comme pure indétermination semble précisément ne pas la qualifier comme vie, puisque<br />

c’est la qualifier comme matière ; c’est lui interdire de pouvoir être par elle-même ce que<br />

pourtant elle paraît être en puissance, un comble puisqu’on l’a supposée au départ pouvoir<br />

être tout !<br />

Toutefois, cette non vitalité au cœur même de la vie peut apparaître nécessaire à la vie,<br />

de telle sorte que cette non vitalité, en un dernier renversement, participe encore de la vitalité<br />

1 Métaphysique, trad. J. Tricot, Paris, Vrin, 1991, t. 1, Ζ, 3, 1029 a 20, p. 243.<br />

2 Ibid., 1029 a 8-9, p. 242.<br />

3 Ibid., 1029 a 19, p. 243.<br />

4 Ibid., 1029 a 29, p. 243.<br />

5 De l’âme, trad. J. Tricot, Paris, Vrin, 1995, livre II, chap. 1, 412 a 20, p. 67.

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