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LE MONSTRE, OU LE SENS DE L'ECART ESSAI SUR UNE ...

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tel-00846655, version 1 - 19 Jul 2013<br />

faire rencontrer des atomes toujours déjà là 1 . Une vie pleine de hasard rencontre du tout fait,<br />

même s’il n’était pas déterminé qu’elle rencontrât telle chose plutôt que telle autre. Elle<br />

ressemble à une vie capricieuse, entendu que « se conduire par caprice consiste à osciller<br />

mécaniquement entre deux ou plusieurs partis tout faits et à se fixer pourtant enfin sur l’un<br />

d’eux » 2 , avec cette différence qu’on laisse justement le soin au hasard de nous fixer à l’un<br />

d’eux. Le hasard laisse ainsi toute une frange de la vie où elle n’a pas affaire à elle-même,<br />

c’est-à-dire où il ne lui est pas possible de se déterminer elle-même par son indétermination<br />

propre. Le hasard de la vie conduit donc à supposer qu’elle est comme circonscrite par un en<br />

dehors qui lui impose des conditions à l’intérieur desquelles elle peut jouer. Qui ne comprend<br />

alors que le hasard révèle une véritable impuissance de la vie – impuissance qui la détermine<br />

dans des limites absolues ? Car le hasard repose sur la totalité des possibles a priori – et<br />

l’indétermination ne porte que sur la réalisation de tel possible plutôt que tel autre. Il n’est<br />

finalement rien d’autre que l’indifférence quant au passage à l’existence des possibles. Si<br />

j’attends de savoir, une fois le dé lancé, sur quelle face il va finalement s’immobiliser, c’est<br />

que je conçois a priori qu’il y a six possibilités s’il s’agit d’un dé à six faces. Mon geste s’est<br />

comme coulé dans la nécessité de ces six possibilités, et je n’ai pas d’autre pouvoir que celui<br />

de varier la manière d’exécuter le lancement sans pouvoir me dire toutefois que ce geste seul<br />

a « créé » l’arrêt sur la face du six. Cette indifférence entre l’ordre des possibles et l’ordre de<br />

l’existence assure certes les conditions du jeu – elle fait que le jeu n’est justement pas sérieux,<br />

puisque l’acte est sans rapport avec le résultat qu’il suscite – mais réalise la clôture des<br />

possibles. A la vie, il serait ainsi offert une totalité numérique de possibles, peut-être en droit<br />

infinis, et il lui reviendrait indifféremment de réaliser tel ou tel possible. La vie ne serait pas<br />

sérieuse ; le sérieux serait plutôt porté par ce monde des possibles extérieur à la vie, qui la<br />

clôturerait parce qu’il serait lui-même un monde clos.<br />

Penser la vie comme pure indétermination, c’est penser, au contraire, qu’elle ne réalise<br />

aucun possible – cela parce qu’il n’y a aucun possible qui lui préexisterait. Le tort du hasard<br />

est d’admettre une telle préexistence et de renverser ainsi le rapport effectif entre le possible et<br />

le réel. Nous attendons que la chose soit pour ensuite chercher dans le passé ce qui<br />

l’annonçait, ce qui la représentait comme de « l’idéalement préexistant » ; mais c’est parce<br />

que nous connaissons le « mot de la fin » que nous pouvons déceler dans les événements<br />

précédents ce qui le rend possible. Bergson pourra donc écrire : « et comme nous savons que<br />

l’avenir finira par être du présent, comme l’effet du mirage continue sans relâche à se<br />

produire, nous nous disons que dans notre présent actuel, qui sera le passé de demain, l’image<br />

de demain est déjà contenue quoique nous n’arrivions pas à la saisir. Là est précisément<br />

l’illusion » 3 . L’illusion consiste à oublier que, pour qu’il y ait du possible, il a fallu que<br />

1 Pour cette analyse, cf. Quentin Meillassoux, Après la finitude. Essai sur la nécessité de la contingence, Paris,<br />

Seuil, 2006, p. 135-136.<br />

2 Bergson, L’évolution créatrice, op. cit., p. 47.<br />

3 Bergson, « Le possible et le réel » dans La pensée et le mouvant, Paris, quadrige / PUF, 1999, p. 111.

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