28.02.2014 Views

LE MONSTRE, OU LE SENS DE L'ECART ESSAI SUR UNE ...

LE MONSTRE, OU LE SENS DE L'ECART ESSAI SUR UNE ...

LE MONSTRE, OU LE SENS DE L'ECART ESSAI SUR UNE ...

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

340<br />

tel-00846655, version 1 - 19 Jul 2013<br />

la périphérie des milieux institués par les individus dont le pouvoir d’être au milieu n’a pas<br />

été altéré.<br />

La seconde caractéristique découle de la précédente. Si chaque vivant est un absolu,<br />

les normes qu’il déploie ne valent que pour lui et ne qualifient la normalité qu’en fonction de<br />

lui. C’est dire qu’un vivant n’est pas dit normal dans l’absolu, mais relativement à un milieu<br />

avec lequel il est en rapport. « Un vivant est normal dans un milieu donné pour autant qu’il est<br />

la solution morphologique et fonctionnelle trouvée par la vie pour répondre à toutes les<br />

exigences du milieu. » 1 Le milieu que découpe le vivant et dans lequel il exprime ses normes<br />

n’est pas un milieu figé et définitif, mais sans cesse en devenir, sans cesse en train d’être<br />

repris et redéfini par l’activité vitale dans la mesure où celle-ci s’épanche dans un<br />

environnement physique. Le vivant est normal lorsqu’il peut répondre au devenir et à<br />

l’histoire de son milieu, c’est-à-dire lorsqu’il peut déplier sa propre histoire au sein même de<br />

l’histoire de l’environnement. « Le vivant et le milieu ne sont pas normaux pris séparément,<br />

mais c’est leur relation qui les rend tels l’un et l’autre. » 2<br />

Le dépliement de cette histoire du vivant, c’est au fond l’espèce qui en témoigne. En<br />

effet, elle est à la fois le témoignage de la réussite du vivant et le dépôt, par la répétition, de sa<br />

norme vitale en une normalité. La fréquence avec laquelle revient la solution morphologique<br />

et fonctionnelle signale la « vitalité d’une solution adaptative ». Les individus sont normaux<br />

par leur capacité à incarner cette solution, autrement dit par leur capacité à traduire leur<br />

pouvoir normatif en normalité. Or, dans la mesure où chaque vivant est un centre absolu, la<br />

norme qu’il manifeste est, à ce titre, absolue. Tout écart sera jugé négativement, c’est-à-dire<br />

sera dévalorisé 3 . Ce n’est donc pas la référence à l’espèce comme archétype qui dévalue toute<br />

forme de vie comme anormale, mais bien la référence à l’espèce comme réussite d’une<br />

normativité vitale, à savoir au final la référence à l’individu qui reprend à son compte une<br />

norme qu’il va affirmer comme normale précisément par les possibilités normatives qu’elle<br />

permet, bref par les possibilités de souplesse, d’adaptation, d’agilité, d’invention qu’elle<br />

offre : « Ce qui est normal, pour être normatif dans des conditions données, peut devenir<br />

pathologique dans une autre situation, s’il se maintient identique à soi. De cette<br />

transformation c’est l’individu qui est juge parce que c’est lui qui en pâtit, au moment même<br />

où il se sent inférieur aux tâches que la situation nouvelle lui propose » 4 . Or, pour en juger, il<br />

1 Ibid., p. 91. Toutefois, Canguilhem ne retombe-t-il pas dans les errements du concept d’adaptation tels que<br />

Bergson les a soulignés ? En effet, le vocabulaire employé n’est-il pas empreint de trop de finalité :<br />

« solution trouvée par la vie » face à un problème qui lui est imposé ? Néanmoins, il ne faut pas oublier que le<br />

milieu n’est pas le problème, mais bel et bien une partie de la solution, puisqu’il est ce par quoi le vivant déploie<br />

sa vie. Ce sur quoi Canguilhem veut ici mettre l’accent, c’est que le milieu n’est pas une abstraction sans aucun<br />

rapport avec l’environnement, qu’en tant qu’inclus dans l’environnement il manifeste les mêmes possibilités de<br />

contingence et d’accidents auxquels le vivant est sommé de répondre s’il veut continuer à être un vivant.<br />

2 Ibid., p. 90.<br />

3 « Le normal, en matière biologique, ce n’est pas tant la forme ancienne que la forme nouvelle, si elle trouve les<br />

conditions d’existence dans lesquelles elle paraîtra normative, c’est-à-dire déclassant toutes les formes passées,<br />

dépassées et peut-être bientôt trépassée », ibid., p. 91.<br />

4 Ibid., p. 119.

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!