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LE MONSTRE, OU LE SENS DE L'ECART ESSAI SUR UNE ...

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tel-00846655, version 1 - 19 Jul 2013<br />

l’adaptation le pouvoir de création de la vie, on joue en fait sur les deux sens du mot – le sens<br />

mécaniste et le sens finaliste – : soit c’est à dessein, mais on est alors incohérent, car le<br />

mécanisme et le finalisme s’excluent ; soit le glissement d’un sens à un autre se fait<br />

subrepticement, mais notre pensée est alors confuse 1 .<br />

Le problème de Bergson ici est de déterminer à quelle condition il est possible de<br />

parler d’évolution créatrice. Mais, dans le même temps, il précise les termes du problème de<br />

l’adaptation, position dont Canguilhem notamment héritera 2 . Pour y répondre, ce dernier va<br />

précisément déployer toutes les implications conceptuelles d’une notion relativement<br />

nouvelle : le milieu. Toutefois, il faut remarquer qu’il opère, par rapport à Bergson, un<br />

déplacement qui revient à réduire les dimensions du problème. En effet, Bergson pose le<br />

problème de l’adaptation, non pas d’abord au niveau des organismes vivants, mais au niveau<br />

plus général de la matière et de la vie. Que veut dire s’adapter pour la vie ? Canguilhem<br />

abandonne ce plan métaphysique pour porter l’interrogation sur les individus vivants : il n’est<br />

plus question de se demander ce que veut dire s’adapter pour la vie, mais ce que veut dire<br />

s’adapter pour l’individu de telle sorte qu’il soit, justement, vivant.<br />

L’un des textes les plus clairs de Canguilhem à ce sujet se trouve dans les Nouvelles<br />

réflexions concernant le normal et le pathologique, partie qu’il rajouta à l’occasion de la<br />

réédition, en 1966, de sa thèse de 1943. Il revient en effet sur certaines objections qui lui ont<br />

été faites, notamment à propos de l’idée selon laquelle la fréquence d’une forme spécifique ou<br />

d’une constante physiologique ne manifesterait rien d’autre que « la vitalité d’une solution<br />

adaptative » 3 . La critique a porté sur le rapport que Canguilhem semble établir entre la<br />

fréquence et la meilleure adaptation. Ce n’est pas parce qu’une forme est répétée qu’elle est la<br />

meilleure d’un point de vue adaptatif. Canguilhem fait alors la précision suivante :<br />

En fait il y a adaptation et adaptation, et le sens où elle est entendue, dans les objections qui<br />

nous ont été faites, n’est pas celui que nous lui avions donné. Il existe une forme d’adaptation<br />

qui est spécialisation pour une tâche donnée dans un milieu stable, mais qui est menacée par<br />

tout accident modifiant ce milieu. Et il existe une autre forme d’adaptation qui est<br />

de répondre par une solution calculée au problème que les conditions posent, on va plus loin que nous, trop loin<br />

même selon nous, dans la direction que nous indiquions d’abord », ibid., p. 59.<br />

1 « Mais la vérité est que l’on passe subrepticement de l’un de ces deux sens à l’autre, et qu’on se réfugie dans le<br />

premier toutes les fois qu’on va être pris en flagrant délit de finalisme dans l’emploi du second. C’est le second<br />

qui sert véritablement à la pratique courante de la science, mais c’est le premier qui lui fournit le plus souvent sa<br />

philosophie. On s’exprime dans chaque cas particulier comme si le processus d’adaptation était un effort de<br />

l’organisme de tirer des conditions extérieures le meilleur parti possible : puis on parle de l’adaptation en général<br />

comme si elle était l’empreinte même des circonstances, reçue passivement par une matière indifférente », ibid.,<br />

p. 59.<br />

2 Canguilhem réfèrera le concept d’adaptation en biologie à son acception d’origine, qui est technique. D’où<br />

ensuite son ambiguïté, selon qu’on le théorise à partir du principe téléologique ou à partir du principe mécanique.<br />

« Selon l’un, le vivant s’adapte conformément à la recherche de satisfactions fonctionnelles ; selon l’autre, le<br />

vivant est adapté sous l’effet de nécessités d’ordre mécanique, physico-chimique, ou biologique (les autres<br />

vivants dans la biosphère). Dans la première interprétation, l’adaptation est la solution d’un problème d’optimum<br />

composant les données de fait du milieu et les exigences du vivant ; dans la deuxième, l’adaptation exprime un<br />

état d’équilibre, dont la limite inférieure définit pour l’organisme le pire, qui est le risque de mort. Mais dans<br />

l’une et l’autre théorie, le milieu est tenu pour un fait physique et non pour un fait biologique, pour un fait<br />

constitué et non pour un fait à constituer », Le normal et le pathologique, op. cit., p. 214.<br />

3 Le normal et le pathologique, op. cit., p. 196.

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