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LE MONSTRE, OU LE SENS DE L'ECART ESSAI SUR UNE ...

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tel-00846655, version 1 - 19 Jul 2013<br />

être, mais est un acte, puisqu’il est à la fois « ce qui a été individué et continue à<br />

s’individuer » 1 . Toutefois, la résolution des problèmes pour le vivant ne consiste pas à<br />

atteindre un état d’absolu repos où toutes les tensions entre son intériorité et le milieu<br />

extérieur sont résolues et abolies, mais au contraire à les maintenir en les rendant compatibles<br />

les unes avec les autres, autrement dit à trouver un équilibre de métastabilité 2 . L’individu<br />

vivant n’est un individu que dans la mesure où il ne cesse de reprendre sa propre genèse, où il<br />

n’est pas seulement le produit d’une genèse entamée avant lui, mais bel et bien l’acteur de<br />

cette genèse. Il est ainsi autant produit que se produisant. C’est pourquoi « les degrés<br />

d’individualité sont relatifs à la densité de cette activité » 3 . Dans la mesure où la perception,<br />

comme activité vitale, participe de ce processus d’individuation, ne peut-elle pas saisir ce<br />

qu’il en est de ce processus d’individuation lui-même dans les autres êtres vivants ? Le<br />

pouvoir de saisie de la perception ne se fonde que dans la mesure où elle accomplit aussi<br />

l’individuation : en effet, ce serait par ce seul moyen qu’elle pourrait « accompagner »<br />

l’individuation des êtres vivants autres que celui dont elle est l’une des activités. Il n’y aurait<br />

saisie que parce qu’il y aurait parallélisme de deux opérations d’individuation: celle de la<br />

perception saisissante et celle de l’être perçu et saisi. Le malaise que provoque l’expérience<br />

des monstres, et particulièrement celle des monstres doubles, pourrait alors provenir de ce que<br />

la perception ne saisisse qu’une individuation faussée. Mais quel est donc cet air faux de<br />

l’individuation que nous chanterait le monstre ?<br />

Dans l’expérience trouble du monstre double, la frontière individuelle devient<br />

indéterminée. Nous anticipons deux individus que la nature n’a cependant pas dissociés.<br />

L’excès par quoi on l’a classiquement considéré, comme s’il avait de trop, est en fait un<br />

manque : loin d’être le témoignage d’une nature débordante et excessive, il est le produit d’un<br />

mouvement qui n’a pu aller à son terme ; il est, pour la perception, un renoncement. Ce<br />

renoncement serait celui de la reprise de la genèse de l’individu par lui-même, ou sa reprise à<br />

un degré de densité moindre. Ainsi pouvons-nous interpréter les monstres omphalosites<br />

comme des individus vivants ne maintenant pas les tensions compatibles entre elles dès lors<br />

qu’il y a un changement de milieu, ne pouvant pas se modifier eux-mêmes pour entretenir<br />

l’équilibre métastable, de sorte qu’ils atteignent l’équilibre stable de la mort. Pour les<br />

monstres doubles, ce défaut de densité de l’acte d’individuation est révélé par le mouvement<br />

même de leur perception, qui achève en pensée la séparation qui n’a pas été faite en acte ;<br />

nous continuons le mouvement qui a été interrompu. Mais faut-il voir deux organismes sous<br />

l’unité du monstre, ou bien un seul organisme sous la dualité monstrueuse ? Le monstre<br />

double est-il deux, est-il un ?<br />

1 Ibid., p. 191.<br />

2 « Seule la mort serait la résolution de toutes les tensions ; et la mort n’est la solution d’aucun problème.<br />

L’individuation résolutrice est celle qui conserve les tensions dans l’équilibre de métastabilité au lieu de les<br />

anéantir dans l’équilibre de stabilité. L’individuation rend les tensions compatibles mais ne les relâchent pas ;<br />

elle découvre un système de structures et de fonctions à l’intérieur duquel les tensions sont compatibles », ibid.,<br />

p. 206.<br />

3 Ibid., p. 192.

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