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LE MONSTRE, OU LE SENS DE L'ECART ESSAI SUR UNE ...

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tel-00846655, version 1 - 19 Jul 2013<br />

la recherche biologique va trouver dans les modèles technologiques – l’instrument technique,<br />

la machine – de quoi éclairer la connaissance du fonctionnement de l’organisme. Entre la<br />

perception naïve et la perception scientifique courrait un même a priori culturel qui les<br />

unifie : la structure de l’organisme est informée par la structure technologique. Si la<br />

perception commune se réfère implicitement à l’expérience technologique, la connaissance<br />

scientifique ne fait qu’user explicitement du modèle technologique. Elle ne rompt ainsi<br />

nullement avec l’expérience commune ; elle ne fait que donner une « extension systématique<br />

et réfléchie d’une structure de la perception des organismes par l’homme » 1 . Selon cet a priori<br />

perceptif, l’individualité organique repose sur l’unité de l’organisme qui se subordonne à luimême<br />

les parties qui le composent tout en ne pouvant pas rester indifférent au fait qu’elles lui<br />

sont des instruments. En d’autres termes, les organes ne sont des parties que parce qu’ils sont<br />

inclus dans un tout qui les finalise ; mais le tout n’est tel que par les parties qui sont des<br />

organes. Une main séparée de l’organisme n’est plus une main dans la mesure où elle n’est<br />

plus capable de remplir sa fonction par sa relation avec le tout organique, mais le tout n’est<br />

sans doute plus tout à fait le même tout que celui qui comprend la main puisqu’il n’a plus à sa<br />

disposition l’instrument de la main.<br />

Or le monstre met en crise cette perception structurée par l’expérience technologique.<br />

Peut-il y avoir une machine qui a le sens d’un monstre ? La machine peut avoir des ratés, elle<br />

peut se dérégler et, par là même, manquer son but ; mais manquant son but, elle ne s’écarte<br />

pas pour autant d’elle-même en tant que machine ; ses ratés ne sont pas « monstrueux », sinon<br />

dans un sens métaphorique. Dès lors que la perception perçoit des monstres, alors même que<br />

dans le modèle qui l’informe il ne peut en être question, force est de conclure qu’il se joue<br />

dans la perception autre chose que le modèle technique. En explicitant et en systématisant ce<br />

dernier, la connaissance scientifique a réduit et appauvrit l’expérience perceptive des vivants<br />

humains.<br />

De fait, nous faisons spontanément la différence entre une machine et un organisme<br />

vivant ; et si nous sommes mal à l’aise devant une machine qui accomplit des fonctions<br />

proprement vitales – par exemple de régulation ou d’apprentissage – c’est bien parce que du<br />

non vivant imite du vivant. Si l’organisme vivant est perçu comme une individualité, c’est<br />

d’abord parce qu’on lui prête la responsabilité de son organisation : il se forme de lui-même et<br />

se maintient en lui-même par lui-même comme s’il s’anticipait dans sa totalité en chacune de<br />

ses parties. L’amputation d’une de ses parties le transforme radicalement au point d’apparaître<br />

comme un autre organisme. Toutefois, ce que nous considérons comme les parties d’un<br />

organisme ne peuvent-elles pas être envisagées, d’un autre point de vue, non comme des<br />

organes ou des instruments, mais comme des touts eux-mêmes, bref à leur tour comme des<br />

individus ? Avec la découverte des cellules, nous découvrons au cœur de l’organisme des<br />

sujets de fonction, des « centres », des êtres donc relativement autonomes, de sorte que l’on<br />

1 Etudes, op. cit., p. 306.

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