28.02.2014 Views

LE MONSTRE, OU LE SENS DE L'ECART ESSAI SUR UNE ...

LE MONSTRE, OU LE SENS DE L'ECART ESSAI SUR UNE ...

LE MONSTRE, OU LE SENS DE L'ECART ESSAI SUR UNE ...

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

326<br />

tel-00846655, version 1 - 19 Jul 2013<br />

problème de la relation entre l’unité du corps et celle du sujet ou de l’âme. Notre confiance<br />

spontanée en l’individu spatio-temporellement défini est mise à mal : dans le monstre double<br />

se détend ou se détisse le lien entre un organisme et un individu, de sorte que ce lien même<br />

fait question plutôt qu’il n’est constaté dans une expérience intime de soi-même. Parce que<br />

l’individualité n’est plus reçue comme une évidence, la question de ce qu’est un sujet peut à<br />

nouveau se déployer à partir du monstre ainsi que tous les problèmes qui lui sont afférents :<br />

celui de la responsabilité et de la liberté, celui du jugement, celui de l’identité. Par exemple,<br />

qui est « je » dans un monstre double, et qui dit « je » ? Dans la mesure où il mélange en un<br />

organisme plusieurs éléments de deux organismes, le problème « métaphysique » est de<br />

savoir ce qu’il en est de l’unité du « je », ou de l’unité de la personne. Mais il faut bien<br />

comprendre que ce problème, aussi important soit-il du point de vue des philosophes<br />

classiques et des théologiens, est second. En effet, ce n’est qu’à l’occasion de la crise de<br />

l’individualité apportée par les monstres doubles qu’il surgit. C’est pourquoi une tâche plus<br />

importante selon nous est de savoir en quoi le monstre double – et, au-delà de son cas, les<br />

monstres en général – mettent en crise notre rapport spontané à l’individualité en nous en<br />

montrant un raté.<br />

Si l’on peut discuter pour savoir s’il y a d’autres individus que le seul organisme pris<br />

dans sa totalité, il est en revanche peu discutable que celui-ci puisse être pris pour l’un des<br />

modèles de l’individu 1 . Encore faut-il s’entendre sur l’organisme auquel on se réfère, car il<br />

existe des organismes-colonies où l’idée d’individu devient, sinon très floue, du moins des<br />

plus problématiques 2 . Il ne s’agit pas ici de nous demander quels sont les caractéristiques<br />

scientifiques de l’individualité, par exemple s’il est pertinent d’appeler individu toute entité<br />

sur laquelle la sélection naturelle s’exerce. En effet, nous nous sommes placés résolument du<br />

point de vue de la reconnaissance du monstre, qui engage un sujet vivant qui effectue cette<br />

reconnaissance. La question est ainsi de savoir quel est le sens de l’individualité que cette<br />

reconnaissance met en jeu. Par là, il ne semble pas que nous encourions le risque d’un pur<br />

relativisme ; nous affirmons seulement qu’en ce qui concerne les monstres, la vérité est plutôt<br />

affaire de perspectivisme.<br />

Percevoir l’individualité<br />

Canguilhem, à plusieurs reprises 3 , remarque que la perception humaine des<br />

organismes vivants est structurée par l’expérience technique : les parties y sont des organes,<br />

c’est-à-dire des instruments hautement spécialisés et organisés en vue du tout. C’est pourquoi<br />

1 Cf. T. Pradeu « Qu’est-ce qu’un individu biologique ? » dans L’individu, perspectives contemporaines, Paris,<br />

Vrin, 2008, pp. 97-125.<br />

2 Simondon ne s’y est pas trompé, qui a interrogé le sens de l’individu et l’individuation dans le domaine de la<br />

vie en examinant de préférence des organismes vivants aptes à former des colonies. Cf. L’individuation à la<br />

lumière des notions de forme et d’information, Grenoble, Million, 2005, deuxième partie : L’individuation des<br />

êtres vivants.<br />

3 Par exemple, « Modèles et analogies dans la découverte en biologie » et « Le tout et les parties » dans Etudes<br />

d’histoire et de philosophie des sciences (noté ultérieurement Etudes), Paris, Vrin, 1994.

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!