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LE MONSTRE, OU LE SENS DE L'ECART ESSAI SUR UNE ...

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bien que celle de l’homme normal serait « la privation de maladies » 1 . Pouvoir être malade et<br />

ne pas l’être : voici finalement, derrière la valeur négative de la maladie, l’affirmation de la<br />

puissance de vie, celle de repousser le négatif 2 . La valeur négative de la maladie recèle en son<br />

fond une valeur positive ; ou encore elle n’est négative que par la positivité qu’elle permet de<br />

révéler. En effet, elle est une épreuve par laquelle et à travers laquelle l’homme se découvre<br />

comme normal, s’affirme dans la santé tout en affirmant la santé. A ce titre, « la menace de la<br />

maladie est un des constituants de la santé » 3 .<br />

tel-00846655, version 1 - 19 Jul 2013<br />

c) De la valeur négative à la valeur repoussoir<br />

« Or le monstre n’est pas seulement un vivant de valeur diminuée, c’est un vivant dont<br />

la valeur est de repoussoir. » 4 La question est celle-ci : qu’ajoute l’idée de valeur repoussoir<br />

par rapport à celle de valeur négative ? De la maladie, nous pouvons, sinon toujours en fait,<br />

du moins en droit, nous relever ; l’intervention médicale, quand bien même est-elle de plus en<br />

plus techniciste, n’a d’efficacité qu’en épousant les capacités du vivant lui-même ; le jeu de la<br />

médecine n’est peut-être pas autre chose que de pousser l’activité vitale à un point que laissée<br />

à elle-même elle n’aurait pu atteindre. A l’inverse, si certaines monstruosités peuvent se<br />

corriger dans les faits, c’est toujours en quelque sorte contre la logique de l’organisme<br />

monstrueux qui a trouvé et son compte et son équilibre lorsque celui-ci est viable. De la<br />

monstruosité, nous pouvons donc dire que, sinon en fait, toujours en droit, elle cloue<br />

l’organisme au mieux dans une difficulté d’être permanente, au pire dans une impossible<br />

activité vitale. C’est pourquoi on pourrait avancer l’idée que si le monstre est un vivant dont<br />

la valeur est de repoussoir, c’est parce qu’il manifeste plus sensiblement la destinée mortelle<br />

de chaque être vivant, le devenir informe de toute forme vivante. Il ne serait alors repoussoir<br />

que parce qu’il participe plus pleinement et plus directement que les autres vivants de la mort<br />

– le véritable repoussoir absolu. Ce serait donc par participation, par ricochet, que le monstre<br />

serait repoussoir. Or, il faudrait bien plutôt dire, à l’inverse, que c’est l’inéluctabilité de la<br />

mort qui empêche d’en faire le repoussoir du vivant. En effet, si la mort est bien le propre des<br />

vivants, elle n’est pas un événement qui arrive au vivant en tant qu’il est vivant. C’est, peutêtre,<br />

l’une des leçons définitives d’Epicure : la mort fait horizon pour les êtres vivants, elle les<br />

borde de l’extérieur, et c’est bien en cela que l’on reconnaît des vivants 5 , mais, en aucun cas,<br />

elle n’est incluse dans ce qui fait sens pour un vivant. C’est donc parce qu’elle est le<br />

contradictoire de la vie du vivant qu’elle n’est pas une valeur repoussoir – elle n’est du reste<br />

1 Ibid., p. 216.<br />

2 « L’homme normal se sent capable d’échouer son corps mais vit la certitude d’en repousser l’éventualité.<br />

S’agissant de la maladie, l’homme normal est celui qui vit l’assurance de pouvoir enrayer sur lui ce qui chez un<br />

autre irait à bout de course. Il faut donc à l’homme normal, pour qu’il puisse se croire et se dire tel, non pas<br />

l’avant-goût de la maladie, mais son ombre portée », ibid., p. 216.<br />

3 Ibid., p. 217.<br />

4 La connaissance de la vie, op. cit., p. 172, nous soulignons.<br />

5 « C’est leur mort qui qualifie les individus vivants au sein du monde, c’est son inéluctabilité qui rend sensible<br />

l’apparente exception qu’ils instituent relativement aux contraintes thermodynamiques », Canguilhem, art.<br />

« Vie » dans Encyclopedia universalis, Paris, 2002, vol. 23, p. 532.

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