28.02.2014 Views

LE MONSTRE, OU LE SENS DE L'ECART ESSAI SUR UNE ...

LE MONSTRE, OU LE SENS DE L'ECART ESSAI SUR UNE ...

LE MONSTRE, OU LE SENS DE L'ECART ESSAI SUR UNE ...

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

321<br />

tel-00846655, version 1 - 19 Jul 2013<br />

raison majeure interdisant de la confondre avec la maladie, ils n’en donnent pas la même<br />

interprétation. L’aspect congénital de l’anomalie prouve, aux yeux du premier, qu’elle ne<br />

saurait être une désorganisation, une altération de l’organisme, mais simplement une<br />

organisation et une harmonie autres ; tandis que, pour le second, le sujet anomal ne peut se<br />

comparer à l’état où il n’avait pas l’anomalie, puisqu’elle lui est constitutive, et dès lors ne<br />

peut lui donner le sens d’une maladie où il fait l’expérience d’un moindre être, ou d’une<br />

impuissance. Toutefois, Canguilhem juge que le passage de l’anomalie à la maladie est<br />

possible dès lors que le sujet anomal la considère comme la cause d’un manque, ou comme un<br />

obstacle à ce qu’il peut et veut être, autrement dit qu’elle le dévalorise à ses yeux. Alors<br />

l’anomalie prend le sens d’une infirmité qui peut être vécue comme une maladie. Nous<br />

constatons que si la monstruosité et la maladie conservent, si l’on veut, une différence<br />

structurelle – espace contre temps, congénialité contre événementialité – elles peuvent revêtir<br />

le même sens chez un individu. Or, le sens est tout pour un vivant, c’est-à-dire tout ce qui fait<br />

sa réalité. L’analyse de l’expérience de la reconnaissance de la monstruosité doit trouver son<br />

nécessaire complément dans l’analyse du sens que revêt la monstruosité pour celui qui en est<br />

le sujet. Le problème de la reconnaissance est aussi le problème de la reconnaissance du<br />

monstre par lui-même. C’est pourquoi le point de vue de celui qui voit ce qui est, à ses<br />

propres yeux, un monstre doit être complété par celui du monstre qui se voit, ou pas, comme<br />

monstre à ses propres yeux de vivant. Dans les deux cas toutefois, nous constatons que le sens<br />

ne peut être délivré que par un sujet individuel et seulement par lui ; c’est dire que la vérité du<br />

sens n’a d’autre horizon que l’individu même.<br />

b) Monstre / mutant<br />

Que ces deux points de vue n’aillent pas l’un sans l’autre, nous aimerions le montrer<br />

en poursuivant la discussion sur la différence entre la maladie et la monstruosité – discussion<br />

qui n’a d’autre but – rappelons-le – que de savoir si elles n’affirment pas deux valeurs, ou<br />

deux contre-valeurs distinctes, pour le vivant. Si nous fondons, comme nous venons de le<br />

faire, la différence maladie / monstruosité sur une différence structurelle (espace / temps ;<br />

événement / congénital), nous allons au-devant d’un autre problème : que faire des maladies<br />

génétiques ? Tout en étant des maladies, n’appartiennent-elles pas au congénital et ne mettentelles<br />

pas aussi en jeu le temps ? Le fait qu’elles découlent d’une erreur dans la transmission<br />

du message génétique conduit Canguilhem à les interpréter, non plus comme une malédiction,<br />

mais comme un malentendu 1 . Or, ne peut-on pas dire du monstre qu’il est aussi un<br />

malentendu à un autre niveau ? En effet, attendu, il n’est cependant pas celui-là même que<br />

l’on attendait, de sorte que sa présence est bien un malentendu. Bref, il n’est pas ce qui était<br />

voulu, comme l’erreur génétique n’est pas ce qui était recherchée. Dans les deux cas,<br />

remarquons que le malentendu est malfaçon, sans qu’il y ait toutefois une responsabilité à<br />

1 Ibid., p. 210.

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!