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LE MONSTRE, OU LE SENS DE L'ECART ESSAI SUR UNE ...

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tel-00846655, version 1 - 19 Jul 2013<br />

biais de la perception d’un autre monstrueux ; d’autre part, elle s’inscrit dans la spatialité de<br />

l’organisme puisqu’elle est, comme l’a fait remarquer I. Geoffroy Saint-Hilaire, apparente.<br />

Dès lors qu’elle est inscription dans la structure formelle de l’organisme, au point qu’une<br />

partie monstrueuse suffit à conférer le caractère monstrueux à la totalité de l’organisme, elle<br />

est constitutive de ce dernier, ou encore congénitale. La maladie est du côté de la crise : si la<br />

monstruosité est avant tout celle d’un autre, la maladie est la crise vécue par le sujet ; la<br />

monstruosité est à la troisième personne, la maladie à la première. La conséquence est double.<br />

En premier lieu, la maladie met en crise, non pas tant la structure formelle de l’organisme, que<br />

sa capacité à se saisir dans la continuité à travers le temps. La crise est donc celle d’une<br />

identité : la maladie fait que je ne suis plus le même qu’avant – et je suis aussi malade de cette<br />

déploration-là. Tel qui a un cancer en traitement chimiothérapeutique déplore qu’il ne puisse<br />

plus conduire par sa trop grande fatigue, et il reconnaît qu’il est malade aussi par le constat de<br />

cette incapacité, en plus du traitement qu’il subit. En second lieu, que la maladie soit un<br />

événement subjectif permet l’empathie. Non pas que nous puissions ressentir dans tous ses<br />

retentissements vitaux, affectifs, existentiels, psychologiques, ce que l’individu malade<br />

ressent en son nom propre, mais nous pouvons imaginer, c’est-à-dire dresser une image assez<br />

fidèle de son expérience de malade, dès lors précisément que nous pouvons, à propos de sa<br />

maladie, dire « je ». Je ne peux m’imaginer à la place d’un monstre que je contemple avec<br />

effroi, tandis que je peux m’imaginer malade.<br />

Cette différence de la maladie et de la monstruosité sous l’ordre du temps et de<br />

l’espace est-elle absolue ? Canguilhem, déjà, fait remarquer que si la monstruosité est<br />

congénitale, elle est aussi un événement temporel à replacer, non dans le temps vécu du sujet,<br />

mais dans le temps de l’embryogenèse ; or, de ce point de vue là, la monstruosité a bien le<br />

sens d’une crise : un événement vient interrompre le cours du devenir de l’embryon. Si « le<br />

propre de la maladie c’est de venir interrompre un cours », alors l’explication tératogénique<br />

permet de conférer à la monstruosité « la signification d’une maladie » 1 . Mais outre l’autorité<br />

de Geoffroy Saint-Hilaire qui refuse d’assimiler monstruosité – et plus généralement anomalie<br />

– et pathologie, Canguilhem souligne que la monstruosité est l’événement d’un devenir, non<br />

d’un vécu 2 ; il ne fait, à ce titre, pas sens pour le sujet vivant qui reçoit sa monstruosité<br />

comme une donnée initiale avec laquelle il doit composer. Aussi, si nous pouvons dire que le<br />

vivant « fait » sa maladie, nous ne pouvons pas le dire pour la monstruosité. Si I. Geoffroy<br />

Saint-Hilaire et Canguilhem s’accordent pour voir dans l’aspect congénital de l’anomalie la<br />

catégories taxinomiques que de relations historiques entre eux – Darwin réinterprétera entièrement la<br />

classification en terme de descendance, donc de relations temporelles – cf. L’origine des espèces, Paris, GF<br />

Flammarion, 1992, chap. XIII. Ici, il s’agit d’examiner à quel niveau la monstruosité comme anomalie touche<br />

l’individu ; force est de constater qu’elle se déploie d’abord dans l’espace : celui d’une perception, celui d’un<br />

corps.<br />

1 Ibid., p. 87.<br />

2 « Mais si cette conversion de l’anomalie en maladie a un sens dans la science des embryologistes, elle n’a<br />

aucun sens pour le vivant dont les comportements dans le milieu, hors de l’œuf ou hors de l’utérus, sont fixés au<br />

départ par les particularités de sa structure », ibid., p. 87.

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