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LE MONSTRE, OU LE SENS DE L'ECART ESSAI SUR UNE ...

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tel-00846655, version 1 - 19 Jul 2013<br />

de vue, l’expérience du monstre est celle d’une valeur négative, ou plutôt d’une valeur jugée<br />

comme telle par un vivant. A contrario, elle est aussi toujours affirmation de soi et jouissance<br />

de soi. La crainte radicale de porter en soi la possibilité d’un devenir monstrueux<br />

s’accompagne, mêlée à elle, de la satisfaction de n’être pas, soi, un monstre, et de celle de lui<br />

être supérieur. Le paradoxe, pour ainsi dire affectif qui se dégage, est que la découverte<br />

proprement effrayante que nous puissions avoir la vie en commun, s’enchâsse par ailleurs sur<br />

la certitude d’une incompatibilité foncière. Première monstration du monstre : celle de sa<br />

propre valeur – comprise pour le moment comme valeur négative. Il est, en conséquence,<br />

l’une des épreuves décisives par laquelle nous perdons notre innocence organique et nous<br />

prenons conscience et de notre fragilité et de notre puissance normative. Parce que nous<br />

sommes fragiles, et bien que nous le soyons, nous nous affirmons comme centre de référence,<br />

et nous considérons, par ce fait même, que l’activité vitale que nous déployons et que nous<br />

sommes a à se maintenir et se développer ; en un mot canguilhémien, nous nous instituons<br />

comme normes.<br />

« C’est dire qu’en matière de normes biologiques c’est toujours à l’individu vivant<br />

qu’il faut se référer. » 1 Il n’y a donc qu’un individu vivant pour qualifier un raté<br />

morphologique de monstre, car vivre n’est rien d’autre que distinguer des valeurs positives et<br />

négatives, polariser le milieu extérieur de telle sorte que rien de ce qui touche le vivant dans<br />

son activité de vivre ne lui est indifférent 2 ; ajoutons par ailleurs que cette qualification n’est<br />

pas faite au nom d’un principe transcendant, mais, pour ainsi dire, à même la vie, au nom de<br />

normes immanentes au vivant qui le constituent bel et bien comme un sujet, c’est-à-dire<br />

comme un « être créateur de valeurs » 3 , c’est-à-dire encore comme un être imposant au milieu<br />

qui l’environne les choix qu’il effectue en tant qu’individu et les choix qu’il porte en tant que<br />

représentant de son espèce. Retournant alors la phrase de Canguilhem pour mieux mettre en<br />

lumière l’une de ses implications, nous pouvons dire : c’est seulement parce que, hommes,<br />

nous qualifions un raté morphologique de monstre, que nous sommes à nos propres yeux<br />

vivants, un sujet.<br />

Le monstre comme valeur négative<br />

Le monstre nous enseigne ainsi la précarité de la vie à partir de quoi nous est révélée<br />

la valeur de la vie qui est justement d’être une valeur. En cela, il est semblable à la maladie :<br />

« La maladie nous révèle des fonctions normales au moment précis où elle nous en interdit<br />

l’exercice » 4 . Mais à rapprocher, par le biais de la problématique de la valeur, la maladie et le<br />

1 Canguilhem, Le normal et le pathologique, op. cit., p. 118.<br />

2 « Or, la vie est bien loin d’une telle indifférence [celle de la mécanique moderne] à l’égard des conditions qui<br />

lui sont faites, la vie est polarité. Le plus simple appareil biologique de nutrition, d’assimilation et d’excrétion<br />

traduit une polarité. Quand les déchets de l’assimilation ne sont plus excrétés par un organisme et encombrent ou<br />

empoisonnent le milieu intérieur, tout cela est en effet selon la loi (physique, chimique, etc.), mais rien de cela<br />

n’est selon la norme qui est l’activité de l’organisme lui-même », ibid., p. 79. Cf. également p. 81, p. 137, p. 216.<br />

3 Canguilhem, La connaissance de la vie, op. cit., p. 145.<br />

4 Le normal et le pathologique, op. cit., p. 59.

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