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LE MONSTRE, OU LE SENS DE L'ECART ESSAI SUR UNE ...

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tel-00846655, version 1 - 19 Jul 2013<br />

la vie, relance en permanence le mouvement – le paradoxe est bien que la mort et la<br />

destruction sont les nécessaires moyens de vivification de la vie :<br />

Il n’y a d’être que parce qu’il y a vie et dans ce mouvement fondamental qui les voue à la<br />

mort, les êtres dispersés et stables un instant se forment, s’arrêtent, la figent – et en un sens la<br />

tuent –, mais sont à leur tour détruits par cette force inépuisable. 1<br />

Ce négatif de la vie, sur quoi repose sa capacité proprement créatrice et grâce auquel<br />

son mouvement est sans cesse continué, Foucault le rappelle à nouveau dans la préface qu’il<br />

rédige à la traduction américaine du Le normal et le pathologique de Canguilhem : « A la<br />

limite, la vie, c’est ce qui est capable d’erreur » 2 . Par l’erreur s’introduisent l’anomalie, la<br />

mutation, bref la différence, par lesquelles les êtres peuvent échapper aux dépôts déposés par<br />

le mouvement de la vie sous la forme de normalités et d’adaptations réussies. Au final<br />

cependant, les remarques de Foucault sur la vie restent peu étendues en regard de ses analyses<br />

sur les relations de pouvoir et la possibilité de résister. On serait en droit de s’en étonner dans<br />

la mesure où, comme nous essayons de le montrer, ces mêmes analyses pointent vers le<br />

problème de ce qui conditionne ou permet la liberté, pierre de touche de la résistance. Il y<br />

aurait chez Foucault quelque chose qui échapperait bien au travail des normes sociales, il y<br />

aurait une « ontologie » de la liberté dans laquelle se fonderait le travail des normes –<br />

ontologie qui renvoie à la vie. Guillaume Le Blanc, à nos yeux, a raison de faire remarquer<br />

« cet étrange parcours foulcadien qui, après avoir exclu le vital de la détermination du sujet<br />

par les normes sociales, réintroduit une vitalité irréductible aux normes sociales, occasion<br />

d’un renouvellement subjectif suscité par le péril mortel des pouvoirs » 3 .<br />

Si nous essayons maintenant de résumer la situation théorique à laquelle nous sommes<br />

arrivés, nous dirions ceci. Contre Geoffroy Saint-Hilaire et avec Foucault, nous estimons que<br />

le point de vue de la norme est essentiel pour saisir et penser la réalité du monstre. Avec<br />

Foucault encore, nous tenons pour acquis que l’idée de norme ne renvoie à aucun modèle<br />

transcendant : elle se produit en produisant, elle se dégage peu à peu comme norme des<br />

processus historiques des relations de pouvoir – en d’autres termes, il n’y a pas un<br />

« complot » des pouvoirs qui savent par avance la manière dont ils vont exploiter les<br />

individus 4 . La norme est donc une nouvelle manière d’être des relations de pouvoir qui<br />

1 Ibid., p. 291. L’idée que la mort, la destruction participent de l’organisation et du maintien de la vie est une<br />

idée somme toute assez banale : pour son analyse dans le cadre de la biologie contemporaine, et notamment son<br />

importance pour la notion d’écosystème, cf. Edgar Morin, La méthode. I. La vie de la vie, Paris, Editions du<br />

Seuil, 2008, pp. 573-578.<br />

2 « Introduction par Michel Foucault », Dits et écrits, II, op. cit., n°219, p. 441. Foucault maintiendra ce point<br />

lorsqu’il modifiera cette préface en 1984 en vue d’un numéro de la Revue de métaphysique et de morale<br />

consacré à Canguilhem : « A la limite, la vie – de là son caractère radical – c’est ce qui est capable d’erreur »,<br />

« La vie : l’expérience et la science », ibid., n° 361, p. 1593, nous soulignons.<br />

3 Canguilhem et la vie humaine, op. cit., p. 276.<br />

4 Cf. sur ce point les propos très clairs de Pierre Macherey dans De Canguilhem à Foucault : la force des<br />

normes, Paris, La fabrique, 2009, p. 90 et p. 92 : « Si la norme n’est pas extérieure à son champ d’application, ce<br />

n’est donc pas seulement, comme nous l’avions déjà montré, parce qu’elle le produit ; mais c’est parce qu’elle<br />

s’y produit elle-même en le produisant. Pas davantage qu’elle n’agit sur un contenu qui subsisterait<br />

indépendamment d’elle et en dehors d’elle, elle n’est en elle-même indépendante de son action, qui se<br />

déroulerait extérieurement à elle, dans une forme qui serait nécessairement celle du partage et de la scission.

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