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LE MONSTRE, OU LE SENS DE L'ECART ESSAI SUR UNE ...

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tel-00846655, version 1 - 19 Jul 2013<br />

l’analyse des résistances que le pouvoir suppose conduit à considérer le monstre en tant que<br />

transcendantal, toujours comme une certaine qualité du corps. Cette qualité du corps,<br />

Foucault la rencontre mais sans jamais s’y arrêter véritablement ni la penser : le corps<br />

résistant est tel parce qu’il est un corps vivant. Parce que nous sommes en vie, « vivre dans les<br />

normes n’est pas vivre selon les normes » 1 ; et c’est bien parce que les pouvoirs ont affaire à<br />

la vie qu’ils ne peuvent être absolus. Ainsi le constate plus qu’il ne l’explique Foucault dans<br />

l’Histoire de la sexualité. La volonté de savoir :<br />

Et contre ce pouvoir encore nouveau au XIX e siècle, les forces qui résistent ont pris appui sur<br />

cela même qu’il investit – c’est-à-dire sur la vie et l’homme en tant qu’il est vivant. Depuis le<br />

siècle passé, les grandes luttes qui mettent en question le système général de pouvoir ne se<br />

font plus au nom d’un retour aux anciens droits, ou en fonction du rêve millénaire d’un cycle<br />

des temps et d’un âge d’or. On n’attend plus l’empereur des pauvres, ni le royaume des<br />

derniers jours, ni même seulement le rétablissement des justices qu’on imagine ancestrales ; ce<br />

qui est revendiqué et sert d’objectif, c’est la vie, entendue comme besoins fondamentaux,<br />

essence concrète de l’homme, accomplissement de ses virtualités, plénitude du possible. Peu<br />

importe s’il s’agit ou non d’utopie ; on a là un processus très réel de lutte ; la vie comme objet<br />

politique a été en quelque sorte prise au mot et retournée contre le système qui entreprenait de<br />

la contrôler. 2<br />

Ce processus très réel de lutte, Foucault l’expérimente, pour ainsi dire, en direct lors<br />

de la révolution d’Iran en 1979 ; à cette occasion, il rappelle une nouvelle fois que la limite à<br />

l’absoluité des pouvoirs demeure la vie même :<br />

Toutes les formes de liberté acquises ou réclamées, tous les droits qu’on fait valoir, même à<br />

propos des choses apparemment les moins importantes, ont sans doute là un point dernier<br />

d’ancrage, plus solide et plus proche que les « droits naturels ». Si les sociétés tiennent et<br />

vivent, c’est-à-dire si les pouvoirs n’y sont pas « absolument absolus », c’est que, derrière<br />

toutes les acceptations et les coercitions, au-delà des menaces, des violences et des<br />

persuasions, il y a la possibilité de ce moment où la vie ne s’échange plus, où les pouvoirs ne<br />

peuvent plus rien et où, devant les gibets et les mitrailleuses, les hommes se soulèvent. 3<br />

Mais pourquoi la vie – et la vie humaine en particulier – a-t-elle une telle puissance ?<br />

Foucault en analysant l’apport de Cuvier met au jour le fait de la vie comme force :<br />

De l’autre côté de toutes les choses qui sont en deçà même de celles qui peuvent être, les<br />

supportant pour les faire apparaître, et les détruisant sans cesse par la violence de la mort, la<br />

vie devient une force fondamentale, et qui s’oppose à l’être comme le mouvement à<br />

l’immobilité, le temps à l’espace, le vouloir secret à la manifestation. (…) L’expérience de la<br />

vie se donne comme la loi la plus générale des êtres, la mise à jour de cette force primitive à<br />

partir de quoi ils sont ; elle fonctionne comme une ontologie sauvage, qui chercherait à dire<br />

l’être et le non être indissociables de tous les êtres. 4<br />

Parce que la vie s’entremêle à la mort, elle ne cesse de dépasser ses propres<br />

productions et de défaire ses propres formes – les êtres vivants. Ces derniers sont à la fois ce<br />

qui manifeste le mouvement même de la vie et ce qui nie ce mouvement même puisque leur<br />

forme en représente l’arrêt et la fixation. La mort, le négatif sont alors ce qui, dans la vie et de<br />

1 Guillaume Le Blanc, Canguilhem et la vie humaine, Paris, quadrige / PUF, 2010, p. 269.<br />

2 Op. cit., pp. 190-191.<br />

3 « Inutile de se soulever ? », Dits et écrits, II, op. cit., n° 269, p. 791, nous soulignons.<br />

4 Les mots et le choses, op. cit., p. 291.

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