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LE MONSTRE, OU LE SENS DE L'ECART ESSAI SUR UNE ...

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310<br />

tel-00846655, version 1 - 19 Jul 2013<br />

monstrueux ouvre l’hétérotopie par excellence : un lieu hors de tous les lieux où les pouvoirs<br />

s’exercent, pour ainsi dire un non lieu à partir duquel les pouvoirs construisent les lieux de<br />

leur effectuation. La foire n’est que la tentative misérable du pouvoir d’assigner un lieu à un<br />

corps dont la puissance est de nier les lieux mêmes du pouvoir ; elle arrange la société en<br />

rendant, sur le mode risible, visible le corps monstrueux : il faut rire des monstres pour qu’on<br />

ne s’aperçoive surtout pas qu’ils sont des corps à la « grande puissance informe et<br />

proliférante » et qu’ils opposent aux identités constituées et aux normes normalisées « cette<br />

multiplicité intense et pullulante » 1 .<br />

Mais l’hétérotopie des corps monstrueux n’a qu’un temps : leur visibilité les destine<br />

d’autant mieux aux pouvoirs. La sidération première est suivie d’une intense activité des<br />

pouvoirs qui cherchent à constituer des rapports avec les corps monstrueux qui peuvent se<br />

dire, s’observer et se définir. Comme toute résistance et toute pratique de liberté, ils font<br />

l’objet d’une récupération et d’une exploitation par les pouvoirs, que nous avons dans le<br />

chapitre précédent tenté d’éclaircir. Néanmoins, ce contretemps des pouvoirs, cette réaction<br />

nécessairement différée, sont décisifs : le corps monstrueux a inscrit dans la trame du réel, de<br />

manière irrévocable, la part irréductible d’une puissance des corps, non récupérable et non<br />

assimilable aux rapports de pouvoir, d’où peuvent émerger les possibilités de résistance et<br />

tout autant motiver les processus et les dispositifs de pouvoir. Le monstre ne fait qu’actualiser<br />

dans un corps donné ce que tous les corps normalisés conservent : un devenir proliférant. Dès<br />

lors, il est sans doute possible de détacher la catégorie du monstrueux des corps de monstres<br />

pour lui faire désigner une dimension du corps en général : il est ce qui, dans n’importe quel<br />

corps parce qu’il est corps, ne peut se ramener à aucune signification – par exemple « âme »,<br />

« chair », « pulsion », « sexe », etc. –, ce qui est proprement de lui inutilisable et non<br />

intégrable dans un processus de subjectivation tout en rendant possible un tel processus ; il est<br />

ce autour de quoi le souci de soi tourne et se constitue, sa part obscure car son fond non<br />

maîtrisable ; il est ainsi ce qui reste, à savoir ce qui se donne toujours dans l’écart de soi et du<br />

corps « domestique » et par l’écart. L’écart monstrueux désigne alors cette part du corps à<br />

jamais hors du pouvoir et hors de soi – il est ce qui du corps est l’écart-en-tant-que-tel, ce qui<br />

manifeste dans le corps la puissance de l’écart-en-tant-que-tel 2 .<br />

Le corps vivant<br />

C’est donc le corps lui-même, la réalité du corps – et en premier lieu la réalité<br />

physique des monstres – qui conduit à la réalité de l’écart-en-tant-que-tel. Nous voulons dire<br />

que ce qui signale le pouvoir comme pouvoir est l’usage nominal du terme « monstre », alors<br />

que les résistances renvoient, comme fondement, à la possibilité réelle du monstre comme<br />

écart-en-tant-que-tel, c’est-à-dire à la puissance actualisée comme puissance. En d’autres<br />

termes, si l’analyse du pouvoir nous amène à poser le monstre comme son transcendantal,<br />

1 S. Legrand, Les normes chez Foucault, op. cit., p. 222.<br />

2 Nous tenterons dans le chapitre VIII de pousser plus avant cette analyse du monstrueux.

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