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LE MONSTRE, OU LE SENS DE L'ECART ESSAI SUR UNE ...

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tel-00846655, version 1 - 19 Jul 2013<br />

déploient – espace ouvert par cela même qui se donne comme hors norme, qui condamne tous<br />

ceux qui ne sont pas monstrueux à des pouvoirs normalisateurs silencieux et sur qui ces<br />

mêmes pouvoirs, abandonnant leur douceur, s’appliquent avec détermination pour assurer leur<br />

propre force et efficacité. Hors norme, le monstre ne l’est que pour mieux montrer la tendance<br />

inhérente des normes à ce qu’il n’y ait pas de hors norme, à montrer leur travail de fond<br />

cherchant à ravaler toute différence et toute singularité. Loin d’être donc anomal, il est, bien<br />

au contraire, ce à partir de quoi les normes surgissent – une matrice normative tout autant<br />

qu’un point d’origine, en un mot un principe normatif.<br />

Pour illustrer et appuyer ce point, il nous paraît souhaitable d’établir un parallèle avec<br />

la prison, autre lieu de formation des normes, autre espace où elles se produisent et se<br />

déploient. Pourtant, la prison a en elle-même un côté absurde que S. Legrand met bien en<br />

évidence. En effet, les normes disciplinaires et, dans une autre mesure, biopolitiques,<br />

fonctionnent à plein régime sans que l’on puisse dire qu’elles produisent quoi que ce soit, sans<br />

qu’elles soient utiles. L’absurde serait ici qu’on ait affaire à des normes gratuites. Il<br />

semblerait qu’elles n’aient d’autre finalité qu’elles-mêmes, ce qui fait que la prison, avec les<br />

monstres, est l’autre lieu où elles apparaissent dans toute leur froide splendeur. Toutefois,<br />

dans ce régime carcéral de l’auto-finalité des normes, quelque chose au final est bien produit,<br />

qui n’est pas des richesses résultant de l’exploitation de la vie, mais qui a une grande utilité :<br />

ce qui est produit n’est rien d’autre que l’individu réadapté, l’individu à nouveau normé à la<br />

société dont il fut, un temps, l’autre, le danger, le délinquant, le monstre. Ce qu’il s’agit de<br />

produire, avec et dans la prison, c’est un corps et une subjectivité disciplinés. Entre la prison<br />

et le monstre, le lien apparaît donc consubstantiel, puisque le second est cet autre de la norme<br />

que la société place dans ce lieu, la prison, dont le secret qui l’entoure n’a d’autre but que<br />

d’exhiber, à l’intérieur même de la société, son autre sur lequel les normes vont jouer à plein 1 .<br />

Mais le monstre devient un signifiant extrêmement vague 2 : il est ce sur quoi la discipline<br />

vient s’appliquer ; il est le champ d’action des normes, car il est le partage même du discipliné<br />

et de l’indiscipliné, du normatif et du non normatif. Sans place assignée dans une société dont<br />

le modèle est un espace « où les individus sont insérés en une place fixe, où les moindres<br />

mouvements sont contrôlés, où tous les événements sont enregistrés, (…) où le pouvoir<br />

s’exerce sans partage, selon une figure hiérarchique continue, où chaque individu est<br />

constamment repéré, examiné et distribué entre les vivants, les malades, les morts » 3 , il est un<br />

individu non « utile ». Mais cette inutilité est en même temps d’une extrême utilité puisqu’il<br />

est le nom même de l’écart que le pouvoir normalisateur rencontre tout autant qu’il produit<br />

pour pouvoir fonctionner.<br />

1 « La prison est donc bien l’exhibition à l’intérieur de la société du partage normatif par lequel une société se<br />

constitue elle-même en mettant son autre hors de soi, hors de soi en soi, en partageant entre ce qui relève de son<br />

domaine et son autre, son autre qu’elle produit en se produisant et pour se produire, et qu’elle prétend toujours en<br />

même temps pouvoir et devoir réduire », S. Legrand, Les normes chez Foucault, op. cit., p. 137.<br />

2 C’est pourquoi il y a une réelle équivocité entretenue entre le monstre physique, le monstre moral, le monstre<br />

esthétique.<br />

3 Foucault, Surveiller et punir, op. cit., p. 230.

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