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LE MONSTRE, OU LE SENS DE L'ECART ESSAI SUR UNE ...

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tel-00846655, version 1 - 19 Jul 2013<br />

assigne au monstre sa monstruosité, comme l’embarras qu’il provoque dans les lois humaines<br />

dessine l’espace équivoque de leur visibilité.<br />

Ce silence des lois est celui de la souveraineté du pouvoir. Pour que celui-ci ait donc<br />

prise sur le monstre, ne doit-il pas cesser de se comprendre comme un pouvoir souverain ?<br />

Précisément, Foucault n’a de cesse de souligner que le concept de pouvoir qu’il veut mettre<br />

en place cherche à rompre avec la notion de souveraineté – ou du moins ne se définit plus en<br />

fonction de l’idée de souveraineté 1 . Le dispositif du monstre est, dans ce contexte, l’élément<br />

du dispositif de la sexualité qui permet aux pouvoirs, définis dans ce dernier dispositif, de<br />

surmonter la référence à la souveraineté pour venir enserrer, englober, intégrer ce qui lui<br />

apparaît de prime abord étranger et extérieur, littéralement le retourner de telle manière qu’il<br />

devienne à son tour un élément à part entière du dispositif. Ce retournement est celui de la loi<br />

dans la norme – ce que les monstres nous montrent avec une particulière acuité est la<br />

dissolution du mécanisme de la loi comme fixation de l’interdit et punition de la transgression<br />

dans un pouvoir normalisateur qui mesure, hiérarchise, délimite et distribue les corps vivants<br />

en fonction de normes qui s’imposent, non de façon transcendante, mais émergent au fur et à<br />

mesure des jeux de pouvoir qui innervent toute société 2 .<br />

Le monstre ou le pouvoir des normes<br />

Hors norme, le monstre l’est précisément par rapport à des normes instituées dont il<br />

représente à la fois la limite et le champ d’extension. Dans la mesure où, par rapport à lui et à<br />

travers lui, elles s’étendent, se définissent, s’affinent, s’affirment, il est l’un des « lieux »<br />

privilégiés où elles se produisent. En d’autres termes, il faut aller jusqu’à dire que le monstre<br />

est la condition de possibilité du normatif puisqu’il effectue le partage entre ce qui doit être<br />

l’objet de normes et ce qui ne doit pas en être 3 ; il dessine l’espace à l’intérieur duquel elles se<br />

1 Parmi les nombreux textes qui font le point sur cette idée, cf. par exemple, Histoire de la sexualité, I, op. cit.,<br />

pp. 177-191 ; « Les mailles du pouvoir » et « La technologie politique des individus », Dits et écrits, II, op. cit.,<br />

respectivement n° 297 et n° 364.<br />

2 « Un tel pouvoir a à qualifier, à mesurer, à apprécier, à hiérarchiser, plutôt qu’à se manifester dans son éclat<br />

meurtrier ; il n’a pas à tracer la ligne qui sépare, des sujets obéissants, les ennemis du souverain ; il opère des<br />

distributions autour de la norme. Je ne veux pas dire que la loi s’efface ou que les institutions de justice tendent à<br />

disparaître ; mais que la loi fonctionne toujours davantage comme une norme, et que l’institution judiciaire<br />

s’intègre de plus en plus à un continuum d’appareils (médicaux, administratifs, etc.) dont les fonctions sont<br />

surtout régulatrices. Une société normalisatrice est l’effet historique d’une technologie de pouvoir centrée sur la<br />

vie. Par rapport aux sociétés que nous avons connues jusqu’au XVIII e siècle, nous sommes entrés dans une phase<br />

de régression du juridique ; les Constitutions écrites dans le monde entier depuis la Révolution française, les<br />

Codes rédigés et remaniés, toute une activité législative permanente et bruyante ne doivent pas faire illusion : ce<br />

sont là les formes qui rendent acceptable un pouvoir essentiellement normalisateur », Histoire de la sexualité, I,<br />

op. cit., pp. 189-190.<br />

3 Stéphane Legrand écrit très à propos dans Les normes chez Foucault, Paris, PUF, 2007, p. 135 : « Il ne faut<br />

jamais négliger qu’il n’y a de norme possible, c’est-à-dire applicable, qu’à partir du moment où est déterminé le<br />

domaine auquel cette norme peut s’appliquer. De sorte que toute norme présuppose un hors-norme, partageant<br />

entre ce qui relève de son domaine et ce qui n’en relève pas. Le partage entre ce qui relève de la norme et ce qui<br />

n’en relève pas est un présupposé normatif de la norme : elle a besoin, idéalement, qu’une autre norme ait<br />

effectué ce partage à partir duquel elle est possible, et pensable comme devant être (c’est-à-dire comme norme).<br />

Il faut que soit déjà réglée la question de ce qui relève de son règlement pour qu’elle puisse régler ce qu’elle doit<br />

régler ».

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