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LE MONSTRE, OU LE SENS DE L'ECART ESSAI SUR UNE ...

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tel-00846655, version 1 - 19 Jul 2013<br />

qu’il sert efficacement un pouvoir médical en l’étendant à une nouvelle classe d’objets, les<br />

monstres. La seconde observation est que, pour accomplir cette opération, la tératologie<br />

accepte que la médecine détermine, contre ce qu’elle-même peut en dire par ailleurs, cette<br />

classe d’objets comme des êtres imparfaits – autrement dit des êtres anormaux. Le soupçon<br />

« Foucault » dessine le mouvement suivant : la tératologie revendiquerait pour elle-même une<br />

approche scientifique des anomalies, et des monstruosités en particulier, afin de s’assurer un<br />

lieu légitime de savoir parmi l’ensemble des savoirs sur les êtres vivants tout en dissimulant le<br />

fait qu’elle continue à entériner une approche normative afin de s’enclencher comme une<br />

nouvelle pièce dans un engrenage de pouvoir. Ce qui est rejeté explicitement dans la théorie<br />

ne l’est plus dans la pratique ; ce qui permet de construire des expérimentations et de<br />

découvrir – à savoir le postulat de l’ordre harmonieux des monstres – se voit tu dès lors qu’il<br />

s’agit d’intervenir : la tératologie, en un mot, réintroduit l’anormal au sein même du savoir qui<br />

s’est constitué par le geste de distinguer l’anormal de l’anomal et de rejeter le premier pour ne<br />

se pencher que sur le second.<br />

En quoi le monstre serait-il donc anormal pour une pratique médicale ? Au nom de<br />

quoi faudrait-il le redresser, le corriger, l’améliorer, le perfectionner ? La tératologie a une<br />

réponse : au nom du type commun. Ainsi, à la contradiction dont on l’accuse, elle pourrait<br />

formuler la réponse suivante : les monstres sont parfaits dans leur organisation, ils sont<br />

parfaits dans leur anomalie ; mais ils ne le sont plus dès lors que l’anomalie est rapportée au<br />

type normal ; ils sont parfaits en soi, ils ne le sont plus relativement aux êtres normaux – ce<br />

qui permet justement de les reconnaître comme anomaux. Or, la médecine ne regarde pas<br />

l’organisation des anomalies, d’où la nécessité, lorsqu’elle a affaire aux monstres, d’en<br />

appeler au savoir tératologique ; elle se situe d’emblée dans la comparaison des êtres<br />

anomaux avec les êtres normaux. La tératologie nous apprend que, dans cette comparaison, il<br />

n’est pas question d’une prescription normative mais plus simplement de relever l’écart avec<br />

un type commun. Ce n’est que du point de vue de la thérapeutique que l’on peut parler de<br />

perfectionnement, de création lorsque l’on « répare », corrige, redresse une anomalie<br />

monstrueuse, non du point de vue tératologique. Il n’y aurait donc pas d’ambiguïté : le partage<br />

des tâches serait bien défini.<br />

Norme et type commun<br />

Il importe de se pencher à nouveau sur cette idée de type commun. Si les espèces sont<br />

reconnaissables dans le domaine empirique, le type commun ne l’est pas au sens où il n’est<br />

nullement incarné par un individu, il est plutôt de l’ordre d’une construction abstraite. Il ne<br />

sert pas à dire ce qui doit être, mais rend possible la comparaison, c’est-à-dire le relevé des<br />

ressemblances et des différences grâce auxquelles on peut ranger les êtres vivants. Le type<br />

commun n’introduirait aucune prescription hiérarchique, mais permettrait de disposer les<br />

vivants en rangs. Ceux-ci seraient la disposition rationnelle des écarts, qui ne seraient en rien<br />

pathologiques mais la manifestation de la variété du vivant. Non plus classement, mais

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