28.02.2014 Views

LE MONSTRE, OU LE SENS DE L'ECART ESSAI SUR UNE ...

LE MONSTRE, OU LE SENS DE L'ECART ESSAI SUR UNE ...

LE MONSTRE, OU LE SENS DE L'ECART ESSAI SUR UNE ...

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

287<br />

tel-00846655, version 1 - 19 Jul 2013<br />

d’une existence amoindrie en comparaison de celle des êtres normaux ; en d’autres termes<br />

comme « une œuvre inachevée de la nature » 1 . Aussi comprend-elle son intervention comme<br />

un acte de création à part entière : en perfectionnant le monstre, en le rendant à son type<br />

normal, elle « ne sauve pas la vie, [elle] la donne ; [elle] ne guérit pas, [elle] crée » 2 . Or, la<br />

tératologie théorique nous dit, quant à elle, que les êtres anomaux sont parfaits dans leur<br />

genre, à tel point ordonnés qu’ils suivent en cela les êtres normaux auxquels on peut les<br />

comparer 3 , à tel point comparables qu’on décèle une unité de composition 4 , à tel point<br />

perfectionnés que Geoffroy Saint-Hilaire renoue dans les toutes dernières lignes de son<br />

ouvrage avec un ton leibnizien dans lequel, loin de vouloir suppléer les manquements<br />

supposés de la nature, il s’agit d’enregistrer une sorte d’harmonie préétablie :<br />

Les anciens auteurs, enfin, lorsqu’ils voulaient s’élever à l’appréciation philosophique des<br />

anomalies, voyaient, dans les monstres, des êtres destinés à faire éclater la gloire de Dieu, par<br />

le miracle de leur existence étrangère aux règles et aux fins ordinaires de la nature.<br />

Nous disons volontiers, après eux, mais non dans le même sens, que les anomalies nous<br />

offrent d’éclatantes manifestations de la grandeur suprême du créateur. A la science moderne<br />

il appartient, non plus de s’incliner, étonnée et admiratrice, devant d’apparentes merveilles,<br />

mais d’en pénétrer le mystère ; mais de démontrer l’harmonie et la régularité de toutes les<br />

formes, même anomales, des êtres vivants, et de se créer à elle-même de sublimes et fidèles<br />

images de l’unité, de l’invariabilité, de la majesté divines, par la découverte des lois générales<br />

de l’organisation, toutes unitaires, invariables, majestueuses comme leur cause première. 5<br />

Comment perfectionner ce qui par ailleurs est dans son genre parfait ? Comment la<br />

forme monstrueuse, régulière et harmonieuse, peut-elle être améliorée ? Geoffroy Saint-<br />

Hilaire ne paraît pas remarquer la contradiction possible qu’induit le point de vue de la<br />

tératologie appliquée.<br />

Pour atténuer voire effacer cette contradiction, on pourrait faire remarquer que les<br />

monstres, dans ce chapitre II de la cinquième partie, sont moins considérés du point de vue de<br />

la tératologie que du point de vue de la thérapeutique. Aussi est-il moins question des<br />

monstres à proprement parler que du pouvoir et de l’efficacité technique de la médecine, en<br />

particulier de la chirurgie. La question n’est pas de savoir ce que sont les monstres, mais ce<br />

que peut la médecine. Geoffroy Saint-Hilaire examine alors en quoi la tératologie sert le<br />

pouvoir médical. Deux observations peuvent être faites. La première est que, dans une<br />

perspective qui prolonge à nouveau celle de Foucault, nous pouvons lire ce rapport médecine /<br />

tératologie comme la tentative de la seconde pour s’engrener à la première et à son pouvoir<br />

reconnu afin d’assurer et d’affirmer son propre pouvoir. Son savoir sera d’autant plus légitime<br />

1 Ibid., p. 556.<br />

2 Ibid., p. 556.<br />

3 « Mais il faut reconnaître dans l’histoire comparée des êtres anomaux une branche particulière des sciences<br />

naturelles, essentiellement complémentaire de l’histoire comparée des êtres normaux, et pouvant lui être<br />

assimilée tant pour la nature de ses divisions que pour celle des méthodes dont elle réclame l’emploi », ibid., p.<br />

586.<br />

4 « Ainsi tous les faits de la tératologie concordent entre eux, et peuvent décidément se résumer dans cette<br />

formule générale : Variété presque infinie dans les formes et l’organisation des êtres anomaux ; mais, soit qu’on<br />

les compare entre eux, soit même qu’on les mette en parallèle avec les êtres normaux, unité essentielle, analogie<br />

constante dans les organes, ou au moins dans leurs éléments constituants », ibid., pp. 592-593.<br />

5 Ibid., p. 612.

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!