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LE MONSTRE, OU LE SENS DE L'ECART ESSAI SUR UNE ...

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tel-00846655, version 1 - 19 Jul 2013<br />

usage « politique », c’est-à-dire stratégique du terme « monstre » qui voue aux pouvoirs celui<br />

à qui on l’applique 1 et qui, le faisant, le voue aussi aux savoirs.<br />

S’il [le pouvoir] est fort, c’est qu’il produit des effets positifs au niveau du désir – cela<br />

commence à être su – et aussi au niveau du savoir. Le pouvoir, loin d’empêcher le savoir, le<br />

produit. Si on a pu constituer un savoir sur le corps, c’est au travers d’un ensemble de<br />

disciplines militaires et scolaires. C’est à partir d’un pouvoir sur le corps qu’un savoir<br />

physiologique, organique, était possible. 2<br />

En s’intéressant aux corps, en matérialisant les corps comme des corps vivants<br />

produisant et disciplinés, le pouvoir rencontre les anomalies. Elles n’intéressent le pouvoir, ou<br />

un certain type de pouvoir, que dans la mesure où elles apparaissent comme des faiblesses,<br />

des imperfections, des obstacles, des manquements. En réintégrant les monstruosités dans le<br />

giron de la nature, en refusant l’usage du vocable « monstrueux », la tératologie ne fait pas<br />

seulement œuvre de science, elle ouvre, aux yeux mêmes des pouvoirs pour qui il y a du<br />

monstrueux, la possibilité d’un redressement des anomalies, d’une correction, d’une<br />

amélioration qui a en vue aussi bien la performance économique des corps que leur<br />

intégration dans des normes objectivantes.<br />

Le retour des normes dans la tératologie appliquée<br />

Dans ce tableau foucaldien de la relation entre pouvoirs et corps, on aimerait examiner<br />

dans quelle mesure Geoffroy Saint-Hilaire a toute sa place et quelles tensions en découlent.<br />

On pourrait cependant faire une remarque de méthode : pourquoi avec Foucault ? Serait-ce<br />

que son analyse historique ne peut être l’objet d’aucune critique et constitue comme un<br />

horizon indépassable ? Si Foucault nous a intéressés jusqu’ici, c’est sans doute moins pour ce<br />

qu’il dit que pour ce qu’il nous permet de faire : considérer un niveau du discours scientifique<br />

où la pertinence d’analyse est moins dans le contenu des recherches que dans les effets et les<br />

attentes du pouvoir, soupçonner qu’un enjeu important réside aussi dans les stratégies mises<br />

en place pour qu’un certain savoir s’impose – stratégies qui n’ont pas à être lues dans l’ordre<br />

de la démonstration et le déroulement des preuves, mais dans la représentation, l’image que<br />

l’on cherche à livrer de sa pratique scientifique. Il s’agit donc moins ici de la philosophie de<br />

Foucault que du soupçon « Foucault » si on nous permet cette expression : un outil<br />

méthodologique mettant au jour, en ce qui nous concerne, les problèmes de la cinquième<br />

partie du Traité de tératologie, c’est-à-dire les contradictions possibles entre la tératologie<br />

« pure » et la tératologie appliquée, et la mise à l’épreuve de la rigueur avec laquelle est<br />

maintenue la distinction anormal / anomal.<br />

1 On peut trouver un exemple de cet usage du terme dans Foucault, Surveiller et punir, Paris, Gallimard, 1975, p.<br />

107 : « L’infraction oppose en effet un individu au corps social tout entier ; contre lui, pour le punir, la société a<br />

le droit de se dresser tout entière. Lutte inégale : d’un seul côté, toutes les forces, toute la puissance, tous les<br />

droits. Et il faut bien qu’il en soit ainsi puisqu’il y va de la défense de chacun. Un formidable droit de punir se<br />

constitue ainsi puisque l’infracteur devient l’ennemi commun. Pire qu’un ennemi, même, car c’est de l’intérieur<br />

de la société qu’il lui porte ses coups – un traître. Un “monstre” ».<br />

2 Foucault, « Pouvoir et corps », Dits et écrits, t. I, op. cit., p. 1625.

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