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LE MONSTRE, OU LE SENS DE L'ECART ESSAI SUR UNE ...

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la tératologie hautement renversant de la part de la psychiatrie ! En effet, d’une part il<br />

réintroduit du pathologique, ou plutôt il permet à un pouvoir médical de traiter ce qui n’est<br />

pas de l’ordre du pathologique – alors même que la tératologie refuse de considérer l’écart<br />

monstrueux comme un écart pathologique – ; d’autre part il conduit à asseoir toute une prise<br />

normative sur les individus en les renvoyant à la raison profonde de leur comportement : le<br />

retard ou non dans leur développement pulsionnel – alors même que la tératologie cherchait,<br />

avec l’idée de retard, à se dégager de tout point de vue normatif.<br />

Usage à contre-emploi de la tératologie, usage d’elle contre elle-même pour constituer<br />

l’ordre du normatif ? Ou bien serait-ce que la tératologie aurait plus à voir avec le normatif<br />

qu’elle ne le dit ? La psychiatrie y a-t-elle puisé seulement ce qui sert sa propre stratégie ?<br />

Peut-on faire un procès d’intention à Geoffroy Saint-Hilaire sous prétexte que la tératologie<br />

est utilisée pour effacer la distinction anormal / anomal qu’elle a pourtant voulu mettre en<br />

place et fonder ?<br />

tel-00846655, version 1 - 19 Jul 2013<br />

3. Les enjeux normatifs de la tératologie appliquée<br />

Deux chapitres de la cinquième partie du Traité de tératologie méritent, de ce point de<br />

vue, qu’on s’y arrête. La cinquième partie, de loin la plus courte de l’ouvrage, examine les<br />

conséquences pratiques du savoir tératologique dans d’autres sciences – en premier lieu en<br />

thérapie et en médecine légale. En d’autres termes, elle cherche à montrer les avantages que<br />

peuvent tirer les autres sciences du savoir tératologique. Il est donc question ici de<br />

« tératologie appliquée » 1 . Or, qu’est-ce qu’une science appliquée sinon également la mise en<br />

évidence et l’étude de ses effets, non seulement au sein de la nature, mais surtout et<br />

principalement au sein de la société humaine – tout changement dans le rapport que les<br />

hommes entretiennent avec « la nature » ayant des répercussions sur la nature des rapports<br />

entre eux ? Dès lors, la question essentielle est celle-ci : qui applique la science ? Si elle a des<br />

effets sur la société, donc des effets politiques au sens large du terme, elle devient bel et bien<br />

un enjeu de pouvoir, c’est-à-dire un moyen par lequel le pouvoir peut utiliser le savoir et aussi<br />

un moyen par lequel le savoir peut vérifier qu’il a du pouvoir. Or, cet engrenage du savoir<br />

théorique et du pouvoir politique qui forme la science appliquée, n’a-t-il pas des répercussions<br />

sur la construction même des théories scientifiques ? Y a-t-il bien quelque chose comme un<br />

savoir pur détaché de toute perspective d’application ? Nous ne voulons pas dire qu’il<br />

n’existerait pas un temps de la recherche scientifique dégagé de tout souci d’application<br />

concrète ; mais ce temps est inclus dans un horizon de relations de pouvoir, qui sont des<br />

relations de contrôle, d’assujettissement, de domination, de façonnage, d’imposition, de<br />

production, de force – dont la seule logique est celle des effets. Qu’en est-il, dans ces<br />

conditions, de la tératologie – entendons de la théorie tératologique – dès lors qu’elle a la<br />

1 I. Geoffroy Saint-Hilaire, Traité de tératologie, III, p. 549.

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