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LE MONSTRE, OU LE SENS DE L'ECART ESSAI SUR UNE ...

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tel-00846655, version 1 - 19 Jul 2013<br />

Pourtant, deux conséquences paradoxales découlent de ce dernier point. La première<br />

est que la psychiatrie n’abandonne pas pour autant l’idée de déviance. Nous avons bien affaire<br />

encore à une science médicale, mais dont l’objet n’est cependant pas principalement la<br />

maladie. La psychiatrie a-t-elle intérêt à lever cette tension en laissant de côté l’idée<br />

d’appartenir à la médecine dans la mesure où elle n’est pas occupée de maladies ? Or, il lui est<br />

essentiel, remarque Foucault, « de garder son statut de médecine, puisque c’est ce statut de<br />

médecine qui détient (pour une part au moins) les effets de pouvoir qu’elle essaye de<br />

généraliser » 1 . C’est-à-dire : elle ne peut accomplir son rôle de contrôle des individus au sein<br />

de la société que si, par ailleurs, les pouvoirs d’institution la perçoivent bien comme une<br />

médecine. Car c’est en tant que médecine qu’ils font appel à elle : ils font ainsi la supposition<br />

qu’elle a bel et bien un pouvoir de discernement, d’explication et de proposition thérapeutique<br />

quant aux « monstres » et autres « pervers » qui répandent au sein de la société un climat<br />

d’insécurité, où le danger rode. Elle exerce alors un « pouvoir médical sur du nonpathologique<br />

» 2 . Aussi doit-elle construire de grandes théories qui lui permettent d’appliquer<br />

ce pouvoir médical sur du non pathologique. Autrement dit, pour ne plus traiter la folie<br />

comme une maladie, la psychiatrie en vient donc à transformer comme pathologique ce qui au<br />

départ n’est ni donné ni compris comme tel. Ce sera alors le rôle de la notion de déviance, de<br />

la théorie des états, des délires, des syndromes qui aboutiront pour finir à cette grande<br />

construction mythologique de la dégénérescence : « Le dégénéré, disons en un mot que c’est<br />

l’anormal mythologiquement – ou scientifiquement, comme vous voudrez – médicalisé » 3 .<br />

Pourtant, en adoptant le principe même de la tératologie – l’arrêt de formation ou de<br />

développement – sur la foi duquel I. Geoffroy Saint-Hilaire a rejeté catégoriquement<br />

l’anormalité du monstre, la psychiatrie ne doit-elle pas à son tour rejeter définitivement l’idée<br />

d’anormalité ? Or c’est l’inverse qui se passe : elle se constitue comme science de l’anormal<br />

en recourant à la notion d’infantilité derrière laquelle, nous l’avons vu, plane l’idée d’arrêt de<br />

formation ou de développement. Voilà donc la seconde conséquence paradoxale : l’anomalie<br />

psychiatrique est anormale – et non anomale – alors même que l’on fait appel à un principe<br />

d’explication qui exclut l’anormal. Certes, on pourrait dire que l’objet d’investigation de la<br />

tératologie et de la psychiatrie n’est pas le même : des corps déformés pour la première, des<br />

conduites ou des comportements dits pervers ou « monstrueux » pour la seconde ; mais du<br />

monstre au pervers et à l’indiscipliné, il y a précisément toute une continuité établie par la<br />

psychiatrie à l’aide de la tératologie. Dès lors, le recours à la tératologie n’a pas pour visée de<br />

modifier l’objet propre de la psychiatrie, mais bien d’élever celle-ci au rang d’une science de<br />

l’anormal – le principe fondateur de la tératologie permet d’établir une passerelle entre le<br />

psychiatrique et le biologique et, par ce fait, de justifier le pouvoir d’intervention et de<br />

correction, bref le pouvoir médical de la psychiatrie. Nous avons ainsi un usage stratégique de<br />

1 Ibid., p. 291.<br />

2 Ibid., p. 292.<br />

3 Ibid., p. 298.

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