LE MONSTRE, OU LE SENS DE L'ECART ESSAI SUR UNE ...

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28 tel-00846655, version 1 - 19 Jul 2013 contre nature. Les Geoffroy Saint-Hilaire sont autrement plus radicaux en séparant le monstre de l’idée de monstrueux. Cette dernière est une idée purement normative, charriant des normes et des valeurs sociales, politiques, religieuses, morales, culturelles, qui n’ont rien à faire avec une science des monstres. A la question de savoir comment une connaissance rationnelle des monstres est possible, la tératologie répond ceci : à la condition de faire une science. Tout le problème est de savoir si une explication scientifique des monstres suffit pour qu’ils soient véritablement penser. Or le monstre se signale à la conscience, non pas par le fait qu’il est un être naturel qui se rattache à des explications scientifiques, mais par le fait de l’écart, qui inquiète, qui effraie et qui fascine – écart qui paraît réduire au silence les normes de sorte qu’il apparaît comme anormal. Il semblerait qu’il n’y ait pas de monstres en soi, il n’y aurait de monstres que pour un regard particulier. De ce point de vue, un autre écueil pour la raison pointe : si le concept de monstre est problématique, ce n’est pas seulement à cause d’une incommensurabilité possible entre la raison et la nature, mais aussi à cause d’une impossible objectivité du monstre. Loin de pouvoir être un concept descriptif, il renvoie à une simple affaire d’épistémè dans laquelle joue tout un réseau de normes et de valeurs. Précisément, le chapitre V ambitionne de montrer que le point de vue normatif continue à travailler souterrainement la tératologie malgré les dires d’I. Geoffroy Saint-Hilaire qui prétend l’avoir évacué. Nous sommes ramenés une nouvelle fois, par un autre biais et avec d’autres termes, au problème de penser « en son être » le monstre : si nous cherchons à construire un concept descriptif du monstre, il se peut qu’il ne corresponde au final à rien de réel, car il décrira un être obéissant aux mêmes lois de la nature, s’incluant dans le même ordre, et perdant par là son altérité singulière ; et si nous voulons rendre compte du monstre selon l’expérience qu’il suscite, dans l’écart singulier qu’il manifeste, nous introduisons du normatif et tout un jeu de valeurs qui rendent problématique l’idée même d’un concept (objectif) du monstre. La seconde partie se confronte à ce problème et tente de frayer une voie qui refuse la mise à l’écart de la norme tout en affirmant une réalité du monstre qui ne relève pas ou ne découle pas d’une épistémè particulière et historique. Il y a des monstres – le problème étant alors de comprendre le mode d’être de ce « il y a ». Nous verrons alors que ce « il y a » ne peut être saisi que si nous nous plaçons au niveau de la vie. Entendons ceci : la question de savoir ce qu’est un monstre rencontre celle de savoir ce qu’est la vie. Comprendre rationnellement la possibilité du phénomène du monstre, c’est déterminer au final le sens d’être de la vie. Or elle nous met en contact avec des êtres vivants que nous ne pensions pas possible. Dès lors, si nous voulons penser conceptuellement le monstre, il nous faut comprendre en quoi les monstres sont possibles 1 . Notre idée est qu’ils nous dévoilent le sens d’être de la vie qui, non seulement les rend possibles, mais surtout qui permet de comprendre en quoi les êtres vivants sont dits justement en vie : ce sens d’être, c’est celui d’une errance 1 Sur le rapport entre la pensée conceptuelle et la pensée du possible, cf. Stéphane Chauvier, Le sens du possible, Paris, Vrin, 2010, p. 80 sq.

29 vitale. Ce sera là la conclusion du chapitre VI. Le chapitre VII cherchera à déterminer et cerner avec précision cette idée d’errance vitale en lien avec celle d’écart, et le chapitre VIII tentera une « métaphysique » du monstre, qui mettra pleinement en avant que la vie n’a rien à voir avec une quelconque logique de l’adaptation. Si les vivants sont pleinement en vie, c’est parce qu’ils sont, d’une manière ou d’une autre, « en contact » avec une vie indifférente à l’adaptation, que nous montrent précisément les monstres. C’est en allant résolument vers une telle métaphysique que nous pensons pouvoir dégager la seule voie qui permette de penser sérieusement le phénomène du monstre. tel-00846655, version 1 - 19 Jul 2013

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contre nature. Les Geoffroy Saint-Hilaire sont autrement plus radicaux en séparant le monstre<br />

de l’idée de monstrueux. Cette dernière est une idée purement normative, charriant des<br />

normes et des valeurs sociales, politiques, religieuses, morales, culturelles, qui n’ont rien à<br />

faire avec une science des monstres. A la question de savoir comment une connaissance<br />

rationnelle des monstres est possible, la tératologie répond ceci : à la condition de faire une<br />

science. Tout le problème est de savoir si une explication scientifique des monstres suffit pour<br />

qu’ils soient véritablement penser.<br />

Or le monstre se signale à la conscience, non pas par le fait qu’il est un être naturel qui<br />

se rattache à des explications scientifiques, mais par le fait de l’écart, qui inquiète, qui effraie<br />

et qui fascine – écart qui paraît réduire au silence les normes de sorte qu’il apparaît comme<br />

anormal. Il semblerait qu’il n’y ait pas de monstres en soi, il n’y aurait de monstres que pour<br />

un regard particulier. De ce point de vue, un autre écueil pour la raison pointe : si le concept<br />

de monstre est problématique, ce n’est pas seulement à cause d’une incommensurabilité<br />

possible entre la raison et la nature, mais aussi à cause d’une impossible objectivité du<br />

monstre. Loin de pouvoir être un concept descriptif, il renvoie à une simple affaire d’épistémè<br />

dans laquelle joue tout un réseau de normes et de valeurs. Précisément, le chapitre V<br />

ambitionne de montrer que le point de vue normatif continue à travailler souterrainement la<br />

tératologie malgré les dires d’I. Geoffroy Saint-Hilaire qui prétend l’avoir évacué. Nous<br />

sommes ramenés une nouvelle fois, par un autre biais et avec d’autres termes, au problème de<br />

penser « en son être » le monstre : si nous cherchons à construire un concept descriptif du<br />

monstre, il se peut qu’il ne corresponde au final à rien de réel, car il décrira un être obéissant<br />

aux mêmes lois de la nature, s’incluant dans le même ordre, et perdant par là son altérité<br />

singulière ; et si nous voulons rendre compte du monstre selon l’expérience qu’il suscite, dans<br />

l’écart singulier qu’il manifeste, nous introduisons du normatif et tout un jeu de valeurs qui<br />

rendent problématique l’idée même d’un concept (objectif) du monstre.<br />

La seconde partie se confronte à ce problème et tente de frayer une voie qui refuse la<br />

mise à l’écart de la norme tout en affirmant une réalité du monstre qui ne relève pas ou ne<br />

découle pas d’une épistémè particulière et historique. Il y a des monstres – le problème étant<br />

alors de comprendre le mode d’être de ce « il y a ». Nous verrons alors que ce « il y a » ne<br />

peut être saisi que si nous nous plaçons au niveau de la vie. Entendons ceci : la question de<br />

savoir ce qu’est un monstre rencontre celle de savoir ce qu’est la vie. Comprendre<br />

rationnellement la possibilité du phénomène du monstre, c’est déterminer au final le sens<br />

d’être de la vie. Or elle nous met en contact avec des êtres vivants que nous ne pensions pas<br />

possible. Dès lors, si nous voulons penser conceptuellement le monstre, il nous faut<br />

comprendre en quoi les monstres sont possibles 1 . Notre idée est qu’ils nous dévoilent le sens<br />

d’être de la vie qui, non seulement les rend possibles, mais surtout qui permet de comprendre<br />

en quoi les êtres vivants sont dits justement en vie : ce sens d’être, c’est celui d’une errance<br />

1 Sur le rapport entre la pensée conceptuelle et la pensée du possible, cf. Stéphane Chauvier, Le sens du possible,<br />

Paris, Vrin, 2010, p. 80 sq.

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