28.02.2014 Views

LE MONSTRE, OU LE SENS DE L'ECART ESSAI SUR UNE ...

LE MONSTRE, OU LE SENS DE L'ECART ESSAI SUR UNE ...

LE MONSTRE, OU LE SENS DE L'ECART ESSAI SUR UNE ...

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

275<br />

développer 1 . Pourquoi mettre l’accent sur la psychiatrie ? Nous aimerions montrer qu’elle fait<br />

un usage très particulier et très paradoxal de la tératologie. A cette époque, il lui apparaît de<br />

moins en moins nécessaire de postuler la présence de la folie, du délire, de la démence – qui<br />

tous interrogent le rapport à la vérité – pour intervenir. « La psychiatrie se désaliénise » 2 ; et<br />

dans cette désaliénisation, il nous paraît que la tératologie joue un rôle qui ne va pas manquer<br />

d’interroger, par un effet de retour, la distinction anomal / anormal qu’elle effectue. Mais,<br />

pour comprendre cela, il nous faut voir quel est l’objet de la psychiatrie s’il est de moins en<br />

moins question d’aliénation : de quoi traite-t-elle au juste ?<br />

tel-00846655, version 1 - 19 Jul 2013<br />

Instincts et normes<br />

Cette question constitue l’un des problèmes principaux que Foucault dégage dans ses<br />

leçons sur les anormaux, que nous allons suivre un instant. Ce qu’il va alors mettre au jour,<br />

c’est la prépondérance peu à peu accordée à l’instinct, c’est-à-dire à cette poussée dynamique<br />

irréductible à la raison et à la logique des intérêts ; et c’est bien l’instinct qui sera au final la<br />

grande affaire de la psychiatrie du XIX ème siècle.<br />

Est-ce qu’il est pathologique d’avoir des instincts ? Est-ce que laisser jouer ses instincts,<br />

laisser se développer le mécanisme des instincts, c’est une maladie, ou ce n’est pas une<br />

maladie ? Ou encore, est-ce qu’il existe une certaine économie ou mécanique des instincts, qui<br />

serait pathologique, qui serait une maladie, qui serait anormale ? Est-ce qu’il y a des instincts<br />

qui sont, en eux-mêmes, porteurs de quelque chose comme une maladie, ou comme une<br />

infirmité, ou comme une monstruosité ? Est-ce qu’il n’y a pas des instincts qui seraient des<br />

instincts anormaux ? Peut-on avoir prise sur les instincts ? Est-ce qu’il existe une technologie<br />

pour guérir les instincts ? 3<br />

Grâce aux instincts, la psychiatrie pourra tâcher de rendre raison de tous ces actes qui<br />

sortent de la mécanique des intérêts et qui paraissent, à ce titre, frappés de folie. Cette dernière<br />

n’est plus une cause, elle est au mieux un symptôme, celui de tout un jeu de mouvements<br />

involontaires, de pulsions, d’attraits irrépressibles, qui forment ce champ de l’instinct aux<br />

frontières floues et qui viennent éclater avec violence dans des actes irrationnels. Cette mise<br />

au jour de la présence des « instincts » à l’occasion de grandes affaires criminelles de<br />

parricides ou d’infanticides ayant défrayé la chronique judiciaire par l’absence de tout motif,<br />

du moins explicitement formulé par leur auteur 4 , a conduit à généraliser la présence des<br />

instincts à tous les individus et pas seulement à quelques-uns. D’où le problème de la<br />

psychiatrie : si tous les hommes sont finalement sujets aux « instincts », comment se fait-il<br />

que certains aboutissent à des actes de folie qualifiés populairement de monstrueux ? Si la<br />

1 Analyser le rapport de la tératologie à la psychiatrie – nous verrons ce que cet angle d’étude doit à Foucault –<br />

ne conduit nullement à délégitimer d’autres lectures possibles de la place des monstres au XIX ème siècle : nous<br />

pensons ici surtout à celles de Jean-Jacques Courtine, qui entreprend de construire une « archéologie de la<br />

curiosité » : cf. Déchiffrer le corps. Penser avec Foucault, Paris, Jérôme Million, 2011, par exemple pp. 106-<br />

107 ; « Le corps anormal. Histoire et anthropologie culturelle de la difformité », dans Histoire du corps, op. cit.,<br />

vol. 3 Les mutations du regard. Le XX e siècle, Jean-Jacques Courtine (dir.), pp. 201-262.<br />

2 Foucault, Les anormaux, op. cit., p. 148.<br />

3 Les anormaux, op. cit., p. 123, nous soulignons.<br />

4 Cf. la présentation que fait Foucault de trois affaires criminelles qu’il juge emblématiques – l’affaire de<br />

Sélestat, l’affaire Papavoine, l’affaire Henriette Cornier – dans Les anormaux, op. cit., p. 102 sq.

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!