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LE MONSTRE, OU LE SENS DE L'ECART ESSAI SUR UNE ...

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discours. Ne pas assumer ce moment normatif est alors d’autant plus dommageable qu’elle<br />

expose la tératologie à toute une idéologie scientifique, à laquelle, en retour, elle participe<br />

pour ne pas avoir interrogé clairement l’idée de norme 1 .<br />

* * *<br />

tel-00846655, version 1 - 19 Jul 2013<br />

Ce que les naturalistes du XVIII ème siècle et la tératologie qui se met en place au XIX ème<br />

siècle nous permettent de saisir, c’est qu’il n’est pas vain de chercher à rendre raison des<br />

monstres, car ces derniers, aussi troublants, aussi choquants et aussi mystérieux qu’ils<br />

paraissent, n’en parlent pas moins le langage de la nature, que la raison humaine, par les<br />

observations, les comparaisons, les expériences réitérées, les classifications, peut pénétrer et<br />

comprendre. Autrement dit, ils deviennent des faits positifs qui parlent à la raison scientifique.<br />

Le grand mérite de Buffon, nous semble-t-il, est qu’il n’a pas minoré que la vue de la nature<br />

est toujours une vue située, que comprendre la nature en soi, c’est toujours adopter un point<br />

de vue sur elle. Qualifier certains êtres vivants de monstres, c’est avertir que nous regardons la<br />

nature d’un point de vue particulier ; mais cela ne signifie pas qu’en tant que point de vue, il<br />

est inadapté. En effet, il paraît être celui qui embrasse à son maximum la nature.<br />

La tératologie retient l’idée que les monstres peuvent faire partie de ces faits de la<br />

nature qui rendent ses lois plus intelligibles.<br />

Ce sont autant de moyens d’étude offerts à la faiblesse de notre intelligence, de<br />

combinaisons plus simples tenues comme en réserve, pour doter l’Homme de plus de<br />

lumières, pour développer progressivement le ressort de sa pensée, et pour le rendre digne<br />

enfin de sa plus haute destination ici-bas, celle de connaître et de rendre de moins en moins<br />

impénétrable pour son esprit l’action du CREATEUR sur les objets créés. 2<br />

Il s’agit bien pour les Geoffroy Saint-Hilaire, dès lors qu’ils font œuvre de science,<br />

d’épouser le point de vue du Créateur, c’est-à-dire donc d’annuler tout point de vue pour<br />

présenter l’ordre objectif de la nature – ordre qui n’est pas donné, mais qui n’est tel que parce<br />

qu’il est en train de se faire, qu’il ne cesse pas de se former 3 . Mais alors, la tératologie en<br />

1 Nous sommes donc sur le fond d’accord avec les critiques qui s’attachent à souligner la présence de la valeur,<br />

de la norme, de l’appréciation subjective dans la science tératologique; mais nous ne pensons pas que cette<br />

présence intervienne essentiellement dans la constitution de la définition de la monstruosité. Nous avons au<br />

contraire cherché à montrer que celle-ci tentait précisément de circonscrire objectivement le monstre. C’est<br />

ailleurs, comme va s’attacher à le montrer le chapitre suivant, que la norme va jouer.<br />

2 E. Geoffroy Saint-Hilaire, art. « Monstre », Dictionnaire classique d’histoire naturelle, op. cit., p. 151.<br />

3 Cette idée est clairement affirmée par Serres lorsqu’il en vient à résumer l’opposition entre le système de la<br />

préexistence des germes et l’épigenèse : « Il n’y a pas de vraies métamorphoses dans la nature, concluait le<br />

système des préexistences ; tout est métamorphose dans les corps organisés, répond l’épigénèse. Entre deux<br />

assertions contradictoires, de quel côté se trouve la vérité ? D’une part est la fixité absolue, l’immuabilité, la<br />

mort ; de l’autre, le mouvement, le changement, la vie. Repos d’une part, mouvement de l’autre, tel est le<br />

contraste de l’ancien et du nouveau testament des sciences naturelles, au point de vue de la science des<br />

développements. Si tout préexistait dans l’ancien testament des sciences naturelles, si tout était immuable, si les<br />

êtres organisés, considérés à toutes les époques de leur existence, ne différaient que du petit au grand, le repos et<br />

l’immutabilité constituaient donc, dans cette manière d’envisager la nature, l’essence de l’animalité. Si au<br />

contraire, dans le nouveau testament de ces sciences, rien ne préexiste ; si tout change d’un instant à l’autre ; si<br />

des êtres organisés sortent de l’œuf par une série de transformation qui les modifient à toutes les périodes de leur

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