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LE MONSTRE, OU LE SENS DE L'ECART ESSAI SUR UNE ...

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tel-00846655, version 1 - 19 Jul 2013<br />

supranaturel et on aurait beaucoup de mal à comprendre qu’il puisse survenir au sein même<br />

de la nature ; si on en fait un être pleinement de nature, comment saisir qu’il soit pourtant<br />

différent, aussi singulier par rapport aux autres productions naturelles au point de marquer les<br />

hommes ? En d’autres termes, nous tombons sur l’aporie suivante : ou bien nous stipulons que<br />

le monstre n’échappe pas à la raison, et nous sommes ainsi conduits à l’étude de ses causes<br />

naturelles ; mais alors nous tombons sur la difficulté de savoir en quoi nous respectons sa<br />

singularité ; ou bien nous en faisons un signe particulier, mais alors on se demande en quoi<br />

notre connaissance est rationnelle. Le monstre apparaît être bien plus que le cas limite d’une<br />

théorie qui teste sa légitimité ; il semble être le cas limite de la raison elle-même et de sa<br />

prétention à atteindre une connaissance de la totalité du réel. Faut-il alors, avec Montaigne,<br />

« renoncer à cette juridiction souveraine de l’intelligence et s’ouvrir à l’immensité du réel » 1 ?<br />

La voie qui s’offre à nous semble être la suivante : soit nous faisons droit à l’immensité du<br />

réel – et l’idée de signe comme prodige répond à cette exigence – mais nous renonçons à son<br />

intelligence complète ; soit nous cherchons à en rendre compte par le seul moyen dont la<br />

raison dispose alors, la recherche des causes naturelles, mais nous sacrifions l’immensité du<br />

réel, nous le réduisons indûment à notre portée, nous faisons du monde notre monde. Dans le<br />

premier cas, le monstre risque bien d’être au-delà de la raison, dans le second cas la raison<br />

risque de dissoudre le monstre.<br />

4. Le problème de la raison : le concept de monstre<br />

Se dégage la question qui nous paraît être essentielle : une connaissance rationnelle du<br />

monstre est-elle possible ? Elle s’impose d’autant plus comme la question décisive sur le sujet<br />

que nous avons refusé le droit à l’esthétique de nous apprendre quoi que ce soit sur ce point,<br />

puisqu’elle n’atteint pas la chose même du monstre. Nous avons cherché à mettre en évidence<br />

que seul le discours philosophique offrait une chance d’y parvenir. Mais si connaissance<br />

rationnelle il doit y avoir, elle doit être une connaissance qui fasse droit aussi bien à la<br />

singularité du monstre qu’à la possibilité de convoquer pour l’expliquer aux causes naturelles.<br />

Or c’est bien la nécessité de tenir ensemble ces deux réquisits qui fait toute la difficulté.<br />

L’enjeu est ainsi bien de savoir dans quelle mesure le monstre peut être un concept de la<br />

raison, bref s’il est possible de construire le concept de monstre qui puisse rendre raison de<br />

cet objet singulier qu’est un monstre. Car si l’une des conditions indispensables est bien de<br />

suspendre l’expérience de l’effroi et de la fascination pour s’ouvrir à l’étonnement, rien n’est<br />

moins simple, dans la mesure où tout monstre nous y ramène. De cela aussi, il faut s’étonner,<br />

de sorte qu’une pensée rationnelle du monstre a à se demander pourquoi il suscite une telle<br />

expérience immédiate.<br />

1 Jean Céard, La nature et les prodiges, op. cit., p. 422.

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