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LE MONSTRE, OU LE SENS DE L'ECART ESSAI SUR UNE ...

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tel-00846655, version 1 - 19 Jul 2013<br />

des êtres plus ou moins parfaits, c’est-à-dire parfaits sous un point de vue et imparfaits sous<br />

un autre 1 . C’est la constatation de cette relativité de la perfection qui conduit à l’abandonner<br />

comme concept biologique. En effet, qu’est-ce qu’une perfection relative ? C’est un concept<br />

contradictoire du point de vue de la raison philosophique, puisque la perfection, en son sens<br />

précis, désigne la non relativité, à savoir l’absolu ; mais, du point de vue de la raison<br />

biologique, la perfection relative porte un nom : c’est la norme 2 . Aussi, qu’est-ce qu’un<br />

monstre ? Un être qui manque la réalisation de la norme qu’il porte de par son appartenance à<br />

une espèce. Mais la question rebondit : que veut dire rater ou manquer la norme que<br />

cependant nous portons car nous ne sommes pas que des individus mais aussi ce à travers qui<br />

l’espèce se concrétise ? Rater, c’est encore mélanger ce qui ne doit pas l’être. Mais le mélange<br />

n’est pas un mélange d’espèces ou de genres, c’est un mélange entre des degrés<br />

d’organisation différents, bref c’est un mélange de rythme temporel 3 . Le monstre ne<br />

représente pas le mixte dans la nature, ni même l’indifférencié puisque nous pouvons le<br />

classer, il manifeste dans la nature le contretemps.<br />

On peut donc dire des acéphaliens, comme de la plupart des monstres précédents, que leurs<br />

anomalies, résultant d’arrêts de développement, réalisent accidentellement chez l’homme les<br />

conditions normales d’êtres placés au-dessous de lui dans la série. Il y a sous ce rapport<br />

analogie évidente entre les acéphaliens, les cyclocéphaliens, les anencéphaliens et tant d’autres<br />

familles étudiées jusqu’à présent, mais avec cette différence que les acéphaliens, arrêtés dans<br />

leur développement beaucoup plus tôt, correspondent dans la série animale à des êtres placés<br />

beaucoup plus bas dans l’échelle, les premiers mollusques et les premiers articulés leur étant<br />

encore incontestablement supérieurs. 4<br />

Ce qui est ainsi déterminant pour la nature de la monstruosité, ce n’est pas la nature<br />

de la cause accidentelle, mais la période à laquelle elle survient. Un même accident, par<br />

exemple le fait de secouer un œuf de poule dans le même sens vertical, ne produira pas du<br />

tout les mêmes anomalies, ni au même degré, selon qu’il est survenu au début ou à la fin de la<br />

vie fœtale. Pour qu’une modification ou une déviation revête le sens d’une anomalie ou d’une<br />

monstruosité, il ne faut pas seulement regarder les conséquences anatomiques et<br />

physiologiques qu’elle induit, il faut savoir déterminer leur sens biologique qui ne peut être<br />

appréhendé que dans la comparaison avec la norme. Ainsi, il y a des monstres qui sont<br />

spécifiques à l’homme ou aux mammifères, car la cause accidentelle ne survient qu’après un<br />

certain degré de développement. Cela explique aussi pourquoi les mammifères sont, dans un<br />

certain sens, riches en monstres : plus un être vivant est organisé, plus le développement<br />

1 Rappelons que Geoffroy Saint-Hilaire ici ne fait que tenir compte de la leçon de Cuvier, qui refuse l’idée d’une<br />

échelle des êtres, parce qu’il ne décèle aucun progrès des êtres vivants vers la perfection : cf. supra chap. II, pp.<br />

123-124.<br />

2 Ce concept va se révéler crucial pour entreprendre une appréhension objective du monstre. Nous aurons donc à<br />

le travailler : cf. essentiellement chap. V et VI.<br />

3 E. Geoffroy Saint-Hilaire revient ainsi sur le cas des podencéphales : « ce qui a privé ces êtres difformes<br />

d’entrer et de persévérer dans la vie de relation fut le mésaccord de leurs organes, dont quelques-uns étaient<br />

développés comme à neuf mois d’âge fœtal, et d’autres comme à deux ou trois mois », Philosophie anatomique.<br />

Des monstruosités humaines, op. cit., p. 502.<br />

4 Traité de tératologie, II, p. 521.

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