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LE MONSTRE, OU LE SENS DE L'ECART ESSAI SUR UNE ...

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tel-00846655, version 1 - 19 Jul 2013<br />

donner lieu qu’à des effets communs – elles manquent alors la loi propre du monstre. « En<br />

dernière analyse, un être singulier n’a jamais d’autre loi que la sienne propre » 1 .<br />

Mais si le monstre est à ce point unique, il contrevient à la tendance de la nature à faire<br />

du semblable avec le semblable. C’est pourquoi il peut être bien dit contre-nature. Mais le<br />

qualifier de contre nature est moins une solution que le nom d’un problème : ce qui est contre<br />

nature apparaît pourtant bien dans la nature et, si on peut dire, avec son autorisation. Car du<br />

point de vue de la variété, le monstre n’est en rien contre-nature – son tort, si tort il y a, est de<br />

pousser la variété à l’extrême ; il représente une certaine ivresse de la nature à jouer avec ses<br />

propres lois. Par ce biais cependant, ne pourrait-on pas convoquer à nouveau les causes<br />

naturelles, en stipulant que la variété n’est qu’un de leurs effets ? Mais alors les monstres,<br />

pour peu fréquents qu’ils soient, ne seraient en rien hors de l’ordinaire ; ils perdraient leur<br />

caractère insolite et rare. Un auteur comme Belleforest ira jusqu’à la critique de la notion de<br />

rare 2 ; mais c’est qu’il a la volonté de séparer l’idée de prodige du critère du rare : le rare peut<br />

ne pas être prodigieux, c’est-à-dire est susceptible d’une explication naturelle. L’objet de la<br />

discussion de Belleforest est de savoir ce que l’on met au compte du prodige, c’est-à-dire de<br />

ce qui ne peut être ramené à la nature et qui cependant advient bien en elle. Puisque les<br />

monstres lui paraissent susceptibles de pouvoir être ramenés à des causes naturelles – et un<br />

ouvrage tel que celui de Paré qui consacre plusieurs chapitres à ces causes naturelles ne peut<br />

avoir à ses yeux que valeur de confirmation – il est conduit à les délaisser au profit d’études<br />

sur l’apparition des morts ou bien des « impressions de l’air » qui font voir dans les nuages<br />

par exemple des armées en bataille. Mais que l’on tienne ou non le monstre comme<br />

absolument irréductible à la nature, ou pas, il est un fait certain que l’inhabituel, l’insolite ne<br />

peut pas être expliqué par les causes naturelles ; c’est même, nous le voyons avec Belleforest,<br />

le seul critère sûr de l’insolite, qu’il faut préférer au rare. Si le rare n’est pas nécessairement<br />

insolite, l’insolite est toujours rare. Dès lors, si les penseurs de la Renaissance rejettent les<br />

causes naturelles, c’est au nom de la présence dans la nature de l’insolite. Jamais elles<br />

n’expliqueront sa rareté, et c’est bien là, pour eux, leur irrémédiable point d’achoppement.<br />

« Presque tous jugent que réduire un fait rare aux faits plus communs en recherchant les<br />

causes de sa production, c’est tout expliquer de lui –sauf sa rareté » 3 , autrement dit ce n’est<br />

rien expliquer du tout.<br />

Mais en accordant toute leur attention au fait rare et à l’insolite, les penseurs de la<br />

Renaissance se retrouvent face à un problème redoutable. Car l’insolite, en poussant la<br />

tendance de la nature à la singularité jusqu’à sa limite, sort du réseau de la ressemblance. En<br />

effet, le monstre n’est-il pas cet être par excellence qui vient rompre toute ressemblance ? Or<br />

nous avons vu que la ressemblance est la catégorie même qui fonde la connaissance.<br />

Comment continuer à vouloir rendre raison de l’insolite alors même que sa définition semble<br />

1 Ibid., p. 321.<br />

2 Nous nous appuyons toujours sur les analyses de Jean Céard que l’on peut trouver aux pages 329-333.<br />

3 Ibid., Avant-propos, p. X.

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