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LE MONSTRE, OU LE SENS DE L'ECART ESSAI SUR UNE ...

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tel-00846655, version 1 - 19 Jul 2013<br />

d’anomalie spécifique qu’est la monstruosité à un critère de degré, ce dernier n’est-il pas<br />

finalement très flou et sujet à interprétation ? Quand s’arrête le vice de conformation et<br />

commence la monstruosité ? Comment distinguer et saisir les différences de degré qui donne<br />

lieu aux différents embranchements de l’anomalie ? Geoffroy Saint-Hilaire met en premier la<br />

complexité. La monstruosité est une anomalie complexe ; mais du simple au complexe il n’y<br />

qu’une différence pour ainsi dire quantitative et un passage qui s’effectue dans l’homogène.<br />

Or il y va bien en fait d’une différence qualitative et de nature : à quel degré de complexité<br />

peut-on assigner un passage à la limite et un changement de nature ?<br />

Il est alors nécessaire de préciser le sens de la complexité monstrueuse. Elle se situe à<br />

deux niveaux. D’une part, la monstruosité entraîne une plus grande complication que les<br />

anomalies simples parce qu’elle est justement une combinaison de ces anomalies simples.<br />

L’organisme est frappé par plusieurs anomalies qui se lient et provoquent un changement des<br />

rapports anatomiques entre éléments organiques. D’autre part, la complexité renvoie à la<br />

gravité avec laquelle l’organisme est atteint. Mais il est alors essentiel de définir le degré de<br />

gravité au-delà duquel il est question de monstruosité. Or, quand bien même le monstre est<br />

d’une évidence visible, définir le degré de gravité et de complication n’a rien d’une évidence.<br />

En effet, quelle « différence dans le degré de l’anomalie offre (…) une considération d’une<br />

importance réelle » et est-il « possible de déterminer avec quelque précision, quelles<br />

anomalies doivent être considérées comme peu importantes, et quelles autres doivent être<br />

considérées comme véritablement complexes et graves » 1 ? En d’autres termes, en quoi la<br />

définition de la monstruosité est-elle une définition opératoire autorisant une classification<br />

selon l’ordre naturel ? En quel sens ouvre-t-elle l’accès aux critères ou caractères pertinents<br />

permettant d’embrasser la totalité des monstruosités à la fois dans leurs différences et dans<br />

leurs analogies ? 2<br />

Il faut comprendre que le degré de gravité est en fait un critère très précis aux yeux de<br />

Geoffroy Saint-Hilaire pour distinguer les monstruosités des autres anomalies et ne laisse que<br />

peu de place à l’interprétation. Car il ne s’agit nullement de penser la gravité en terme<br />

quantitatif : il y a du plus ou moins grave. La gravité est prise ici en un sens absolu : la<br />

monstruosité est de la plus haute gravité, ce qui a pour conséquence l’idée que la<br />

monstruosité, dans la comparaison avec les autres anomalies, est précisément sans<br />

comparaison aucune. Qu’est-ce qui caractérise la plus haute gravité au juste ? Trois points :<br />

son étendue et par conséquent son influence à la fois anatomique et physiologique au sein de<br />

1 Ibid., I, p. 47.<br />

2 C’est justement l’idée de gravité qui fera l’objet d’une critique appuyée de Davaine en 1875 : « Ceci revient à<br />

dire que toute anomalie très grave est une monstruosité, mais que toute monstruosité qui n’est pas très grave est<br />

une anomalie. Or, la gravité est une appréciation de sentiment et, de plus, telle anomalie pourra être très grave<br />

chez un animal et non chez un autre. La limite posée par Geoffroy Saint-Hilaire est donc purement arbitraire. Au<br />

reste, sa définition même établit qu’il n’y a point de différence de nature entre l’anomalie et la monstruosité, et<br />

que la distinction est toute artificielle », art. « Monstres. Monstruosité », Dictionnaire encyclopédique des<br />

sciences médicales, 2 e série, t. 9, Paris, Masson Asselin, 1875, p. 204. Cette critique sera reprise par A. Caiozzo<br />

et A.-E. Demartini, qui s’appuient également sur Canguilhem, dans leur texte de présentation de Monstre et<br />

imaginaire social, Paris, CREAPHIS, 2008, p. 14.

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