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LE MONSTRE, OU LE SENS DE L'ECART ESSAI SUR UNE ...

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tel-00846655, version 1 - 19 Jul 2013<br />

En faisant disparaître l’apparition même du monstre derrière des images – certes aux<br />

statuts divers : il ne s’agit pas de confondre l’image donnée par l’« entre sort » avec celle<br />

délivrée par une œuvre académique, et encore moins avec celle d’une œuvre qui tente de<br />

vivifier de nouveau l’imagination en cherchant à briser sa logique combinatoire –, nous<br />

aboutissons à l’idée que le monstre est feint. Cherchant à faire voir le monstre, tous les<br />

dispositifs que nous venons d’évoquer (dispositif de l’art, dispositifs de la photographie, du<br />

discours descriptif, de l’illustration, de l’image) feignent de le montrer dans toute sa puissance<br />

scandaleuse, celle de la démesure, du débordement, du désordre, de l’horreur, tout en ne<br />

manquant pas de lui assigner des limites et des déterminations. Cela ne veut pourtant pas dire<br />

qu’il est faux. Il y a feinte, parce que s’opère un déplacement d’espace : le monstre est exilé<br />

de l’espace phénoménal pour un espace imaginaire. L’image est ainsi une ruse qui répond au<br />

paradoxe de la phénoménalité du monstre.<br />

Le phénomène du monstre nous condamne-t-il irrémédiablement à la ruse et à la<br />

feinte ? Faut-il qu’il se fasse toujours voir sans jamais se laisser voir ? Comment faire en<br />

sorte d’établir, malgré le monstre, une nécessaire distance pour le voir et ainsi évacuer, autant<br />

faire se peut, toute image ? Ne faut-il pas d’abord accepter qu’il soit un phénomène parmi les<br />

autres phénomènes ? Mais comment peut-il accéder à cette « normalité phénoménale » alors<br />

qu’il inflige un tel ébranlement au regard qu’il ne sait plus voir ? Un indice nous est fourni par<br />

les descriptions de monstres rédigées à la Renaissance. Nous avons dit plus haut que les<br />

descriptions visaient avant tout à souligner leur impuissance et leurs limites pour ajouter au<br />

caractère monstrueux et prodigieux de l’être ainsi décrit et ainsi renvoyer à l’imagination du<br />

lecteur et à l’image. Cependant, dans les Histoires prodigieuses de Boaistuau, dans Des<br />

monstres et prodiges d’Ambroise Paré, dans les Canards qui circulaient, dans tous ces auteurs<br />

connus ou anonymes qui recueillent monstres, merveilles et prodiges, sont assez<br />

systématiquement relevées les indications des dates et des lieux qui expriment le souci de<br />

replacer les monstres au milieu de la nature, dans le monde des hommes. Certes, c’est sans<br />

doute pour mieux faire ressortir et l’effroi et la fascination qu’ils exercent, et poser<br />

implicitement la question de savoir comment ils sont possibles. Mais, pour notre propre<br />

compte, ne pouvons-nous pas arguer de la présence de ces indications factuelles, pour avancer<br />

qu’ils reconduisent aux conditions de n’importe quel phénomène : l’espace et le temps ?<br />

Aussi, s’ils sont des phénomènes comme les autres, c’est parce que les autres phénomènes<br />

sont comme eux ; et, plutôt que de penser que le paradoxe de la phénoménalité des monstres<br />

leur est propre, ils mettent en évidence qu’il concerne tous les phénomènes. C’est dire que,<br />

derrière leur familiarité, jamais la mise à distance nécessaire pour qu’ils apparaissent à une<br />

conscience n’est donnée à l’avance ; ils n’apparaissent que parce que se construit une mise à<br />

distance idoine. Aucun phénomène n’est livré à l’avance à une conscience qui a à construire<br />

la distance par laquelle il se laissera voir. Pour le phénomène du monstre, l’élaboration de<br />

cette mise à distance exige de mettre entre parenthèse l’expérience première et immédiate de<br />

l’effroi et de la fascination ; pour d’autres phénomènes, une mise entre parenthèse de leur

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