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LE MONSTRE, OU LE SENS DE L'ECART ESSAI SUR UNE ...

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tel-00846655, version 1 - 19 Jul 2013<br />

genres, classes propres à la tératologie alors qu’ils appartiennent déjà à des espèces, genres et<br />

classes zoologiques ? Car, avant que d’être monstres, ils sont des hommes, ou des chiens, ou<br />

des poulets, brefs des animaux qui ont déjà une place déterminée dans la classification. Le<br />

problème est le suivant : pourquoi privilégier ici la classification tératologique plutôt que la<br />

classification zoologique ? 1 Pourquoi privilégier comme caractéristiques de ces êtres leurs<br />

monstruosités plutôt que leur origine ? Geoffroy Saint-Hilaire prend l’exemple de l’Acéphale.<br />

Un Acéphale, c’est-à-dire un monstre privé de tête, de cœur, de poumons et de plusieurs<br />

viscères abdominaux, et dont les fonctions, comme l’organisation, s’élèvent à peine au degré<br />

de complication qui caractérise le mollusque ou l’articulé (…) ; un Acéphale est-il<br />

véritablement un être humain ? 2<br />

Evitons d’abord tout malentendu : parce que le monstre est anomal, et non anormal,<br />

toute interrogation morale est évacuée du champ scientifique. S’interroger sur l’humanité de<br />

l’acéphale, ce n’est nullement se placer sur le terrain de la morale, mais sur celui de la<br />

classification. L’humanité n’est pas ici une valeur morale, mais une catégorie taxinomique.<br />

Or, de ce point de vue, c’est l’organisation de l’organisme qu’il faut prendre en compte.<br />

Autrement dit, les caractères anatomiques et fonctionnels propres aux hommes se retrouventils<br />

chez l’acéphale ? S’il est un homme d’après son origine, il ne l’est pas « d’après l’essentiel<br />

de son organisation, et par conséquent d’après l’ensemble de ses rapports » 3 .<br />

La discussion en fait est essentielle et dépasse le cadre de la tératologie. En effet, elle<br />

porte au final sur les caractères qu’il faut prendre en compte pour discriminer les catégories<br />

taxinomiques entre elles. Quand parle-t-on d’espèces différentes : lorsque la forme extérieure<br />

varie ou bien lorsque les rapports internes ne sont plus les mêmes ? En ce qui concerne les<br />

monstres, faut-il mettre en avant leur origine ou bien leur organisation spécifique ? Mais si<br />

l’on choisit le critère de l’origine et si l’on décide qu’il n’y a pas d’espèces propres à la<br />

tératologie, le problème est celui du statut de ce critère : est-il essentiel, c’est-à-dire permet-il<br />

de caractériser l’être en question – le monstre ? Que l’acéphale appartienne à l’espèce<br />

humaine selon son origine, c’est le caractériser selon un critère inessentiel car circonstanciel.<br />

En effet, le monstre doit ses monstruosités non pas au fait qu’il appartienne à l’espèce<br />

humaine mais au fait que des causes accidentelles sont venues perturber son développement<br />

ou sa formation. Mais peut-on alors fonder une classification sur l’accidentel ? Ce serait la<br />

rendre contingente, si bien que l’ordre qu’elle établirait serait un ordre arbitraire. En revanche,<br />

l’accident donne lieu à une organisation particulière. Or, d’après Cuvier comme on le sait, il y<br />

a une hiérarchie des caractéristiques : c’est sur l’organisation interne que l’on peut dégager<br />

des structures communes, des analogies et par conséquent découper des catégories<br />

1 « Est-il possible de diviser en classes, en genres et en espèces, d’après les diverses mutilations qu’ils ont eu à<br />

souffrir, des êtres, qui, en définitive, sont hommes, et dans lesquels le cachet de l’humanité est même si<br />

fortement empreint, que chacun l’y reconnaît de prime abord ? », ibid., I, p. 113. Ce serait alors proposer une<br />

classification qui ne reposerait que sur un critère négatif : classer ici non plus selon un, ou des caractères positifs,<br />

mais selon la nature de mutilations. Ce serait une classification de rebuts.<br />

2 Ibid., I, p. 113.<br />

3 Ibid., I, p. 113.

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