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LE MONSTRE, OU LE SENS DE L'ECART ESSAI SUR UNE ...

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187<br />

tout parce qu’il serait un absolu singulier 1 . Est-il possible alors de distinguer des espèces et<br />

des genres ? Comment les monstruosités peuvent-elles donner lieu à une nomenclature<br />

linnéenne ?<br />

tel-00846655, version 1 - 19 Jul 2013<br />

Caractère, identité et singularité<br />

Nous avons vu que si les monstruosités obéissent aux lois de la nature, cela a pour<br />

conséquence que tout n’est pas possible 2 . Aussi les causes accidentelles peuvent-elles donner<br />

lieu à des traits que des monstres se partagent, à des rapprochements qui dessinent comme un<br />

type commun d’une monstruosité.<br />

Les monstres les plus rapprochés par leur organisation se ressemblent entre eux au même<br />

degré que des animaux ou des plantes congénères, c’est-à-dire qu’ils présentent en commun un<br />

ensemble de caractères plus ou moins importants, et semblent reproduire le même type : ils<br />

offrent donc véritablement des caractères génériques, et peuvent former, aussi bien que tous<br />

les êtres organisés, des groupes naturels dignes du nom de genre. 3<br />

Les singularités monstrueuses n’échappent nullement, du fait de leur soumission aux<br />

lois de la nature, à la répétition et aux similitudes. C’est pourquoi il est possible pour la raison<br />

de se placer, non pas au niveau des individus eux-mêmes, mais au niveau d’un type commun,<br />

de lui conférer un nom et de regrouper les individus qui portent en eux les ressemblances<br />

génériques.<br />

Quelques différences spécifiques ou individuelles, coïncidant avec les ressemblances<br />

génériques, et leur étant subordonnées, n’empêchent nullement que ces groupes soient<br />

réguliers et bien circonscrits, pas plus que les variétés sans nombre que l’on rencontre dans<br />

l’espèce humaine, n’empêchent de rapporter tous les hommes à un type commun. Seulement,<br />

ces différences, dignes, aussi bien que les rapports communs, d’une étude attentive,<br />

deviendront l’objet d’un second ordre de considération. Sous un point de vue général, tous les<br />

monstres d’un même groupe pourront être ramenés par la pensée à un seul et même être, et<br />

embrassés sous un nom commun ; puis, sous un point de vue plus spécial, il pourra être utile<br />

de les distinguer les uns des autres, et de leur assigner un nom particulier. De là l’emploi de la<br />

nomenclature linnéenne, ou, en d’autres termes, la combinaison de deux dénominations, l’une<br />

générique, exprimant l’ensemble des traits communs à tous, l’autre spécifique, exprimant<br />

l’ensemble des traits propres à chacun, et formant ainsi le complément de la première. 4<br />

La classification des monstres repose donc sur la possibilité d’analogie et de<br />

ressemblance comme du reste toute autre classification des vivants. Si maintenant l’objection<br />

à la classification tératologique met en avant l’idée que, quand bien même il y aurait des<br />

ressemblances, jamais nous ne pourrons avoir affaire à des identités entre les monstres,<br />

toujours nous aurons face à nous des êtres absolument singuliers qui ne peuvent être, en quoi<br />

que ce soit, « subsumés » ou rapportés à une espèce, et encore moins à une catégorie<br />

supérieure, sans que soit niée sa singularité même, et donc son être même, alors cette<br />

objection atteint tout autant les classifications des êtres normaux. Car ils sont autant que les<br />

1 P. Tort, dans le contexte du préformationnisme, a aussi parfaitement relevé la difficulté, pour ne pas dire la<br />

contradiction, à concilier l’exigence de singularité et l’établissement de classes que réclame toute classification :<br />

L’ordre et les monstres, op. cit., pp. 170-171.<br />

2 Cf. supra, chap. II, p. 119 et pp. 138-139.<br />

3 Ibid., I, p. 109.<br />

4 Ibid., I, p. 109.

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