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LE MONSTRE, OU LE SENS DE L'ECART ESSAI SUR UNE ...

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tel-00846655, version 1 - 19 Jul 2013<br />

en demeure de répondre. Sa réponse est la forme monstrueuse, qui appelle un sens. Dans le<br />

silence, ou la sidération, de son apparition, le monstre fait parler l’artiste. Et cette parole, c’est<br />

le symbolique.<br />

Comme symbole appelant le sens 1 , comme symbole appelant à son tour la parole<br />

interprétative, la forme monstrueuse ne peut être qu’autre que le monstre. Comme symbole,<br />

elle ne représente justement pas le monstre, dont elle a pourtant figure, mais tout autre chose ;<br />

elle « fait percevoir autre chose » justement 2 . En conférant une forme au monstre, l’art le fait<br />

ainsi paradoxalement disparaître derrière sa forme esthétique ; il n’est en effet que le signe<br />

vers autre chose : il est littéralement traversé. La figure du monstre en art n’en est donc pas<br />

une : elle est une transfiguration – la figure monstrueuse traverse la figure pour ne pas figurer<br />

le monstrueux, pour le défigurer et faire ainsi apparaître la forme monstrueuse. La forme n’est<br />

ainsi donné ni par la figure, ni dans la figure, mais dans ce qui transparaît de la figure comme<br />

étant l’infigurable même – le sens. Le travail de l’art est donc bien, si l’on veut, un travail du<br />

négatif, qui répond à la négativité dissolvante, car menant à l’incorrection, du monstre. « A<br />

l’œuvre dans l’art, la puissance de négativité est une contre-agressivité opposée à l’agressivité<br />

de l’immonde. » 3 C’est par une négation, un « non » au monstre, un processus de<br />

défiguration, que l’inscription du sens et du symbolique dans la forme monstrueuse s’effectue.<br />

Bien sûr, l’art jouera de tous les degrés, du monstre qui s’efface complètement derrière le<br />

symbole à celui qui efface presque le symbole. Dans tous les cas, la transfiguration cherche à<br />

rédimer la difformité du monstre en traversant son apparente laideur pour qu’éclate la beauté<br />

souveraine de son sens (esthétique, morale, religieuse, politique, etc.). Mais cette élévation à<br />

la forme a un prix : la forme monstrueuse n’est belle que par l’écart qu’elle instaure avec la<br />

présence concrète de la monstruosité. Elle figure le monstre en le distordant et le défigurant et<br />

vise, dans une matière à dominer, l’incarnation d’un sens. Par bien des côtés, dans cette<br />

volonté artistique de faire place au monstre, la forme qu’elle crée signe bien plutôt son<br />

absence. « Ecrire, écrire : tuer quoi », remarque Henri Michaux, grand créateur de formes<br />

monstrueuses 4 .<br />

L’image du monstre, ou la feinte de l’art<br />

Le constat est le suivant : les artistes, pas plus que les discours descriptifs et les<br />

photographies, ne nous montrent les monstres. Car si l’artiste se veut sensible à l’apparence<br />

du monstre, ce n’est que pour l’intégrer à l’économie d’une œuvre qui cherche à faire sens ; et<br />

si les monstres ont été montrés sur les places publiques et dans les foires, s’ils ont toujours<br />

1 Hegel remarque à ce propos que la forme monstrueuse est le symbole du symbolisme, « l’énigme par<br />

excellence » (Esthétique, Paris, Librairie Générale Française, 1997, p. 468), c’est-à-dire l’énigme apparaissant<br />

comme énigme, ou encore dont le sens est de dire que le sens est à chercher dans ce qui est implicite et<br />

dissimulé. En d’autres termes, la forme monstrueuse montre que l’œuvre n’est pas seulement une belle forme<br />

provoquant un plaisir esthétique, mais une forme recelant un sens.<br />

2 Gilbert Lascault, Le monstre dans l’art occidental, Paris, Klincksiek, 1973, p. 267.<br />

3 Michel Ribon, Archipel de la laideur, op. cit., p. 317.<br />

4 Ecuador, Paris, Gallimard « L’imaginaire », 1968, p. 16.

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