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LE MONSTRE, OU LE SENS DE L'ECART ESSAI SUR UNE ...

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tel-00846655, version 1 - 19 Jul 2013<br />

inclassable, un être sans lieu. Il met en défaut les catégories de la raison classificatrice, non<br />

parce qu’aucune catégorie ne s’applique à lui, mais bien parce que plusieurs peuvent lui<br />

correspondre en sorte que son corps même est le lieu où elles se brouillent, s’entremêlent, se<br />

fondent, se déforment et finissent par former un cloaque catégoriel. Constituant la défaite de<br />

la raison, il sombre alors dans le fond de l’impensé. Mais si on qualifie l’espèce comme<br />

l’ensemble des êtres interféconds entre eux, on ne peut plus faire du monstre le fruit d’un<br />

mélange entre deux êtres d’espèce différente. Ce que nous montre Buffon, c’est que cette<br />

définition de l’espèce va pour ainsi dire sortir le monstre du fond de l’impensé pour être<br />

considéré à nouveau frais par la raison. Est dit monstre l’être inclassable, l’être en qui se<br />

trouvent des traits contradictoires appartenant à des espèces différentes. Mais le fait qu’il soit<br />

inclassable ne va pas le disqualifier, mais disqualifier au contraire les catégories de<br />

classification. Si le monstre est inclassable, cela signifie que les catégories de la raison ne sont<br />

pas les catégories naturelles : le monstre est monstre pour la raison, non pour la nature pour<br />

qui il n’est qu’un être intermédiaire appartenant à une espèce intermédiaire. Buffon épure<br />

l’idée de mélange pour ne retenir que la possibilité qu’elle offre de penser l’idée<br />

d’intermédiaire. C’est donc par le monstre qu’il peut asseoir la conception de la chaîne des<br />

êtres. La nature ne fait pas de saut : les espèces sont liées les unes aux autres, et entre deux<br />

espèces aux caractéristiques tranchées, il y a toujours des espèces intermédiaires.<br />

De l’écart à la continuité<br />

Si, chez Buffon, l’idée de monstre assure la continuité dans la chaîne des êtres, cette<br />

continuité n’est nullement temporelle mais structurelle – la nature ne faisant pas de saut grâce<br />

à sa diversité infinie. On se tromperait si l’on faisait découler le chaînon supérieur du chaînon<br />

inférieur, le passage de l’un à l’autre est un passage logique 1 et non génétique. Geoffroy<br />

Saint-Hilaire, à la suite de son père, ne refuse nullement l’idée d’une continuité entre les êtres.<br />

Mieux : en mettant au jour une unité de plan entre tous les êtres vivants, E. Geoffroy Saint-<br />

Hilaire assume l’idée d’une série animale continue en pensant avoir dégagé le fondement de<br />

cette continuité. En effet, l’unité de plan permet de concevoir « dans la multitude des êtres de<br />

la série animale les innombrables parties d’un immense tout, les manifestations diversifiées à<br />

l’infini d’un seul et même type » 2 . C’est parce que l’on suppose une telle unité de plan que<br />

l’on peut établir des rapports entre les êtres, déceler des homologies, déduire des<br />

conséquences, bref établir une théorie générale. Or si tous les êtres ne manifestent qu’un<br />

même plan diversement appliqué, il s’ensuit qu’il n’y a entre eux aucune différence de nature<br />

ou d’essence, mais seulement des différences de degré dans la complexification. Mais d’où<br />

vient cette différence de complexification ? Dans l’inégalité de formation ou de<br />

développement. Cela veut dire que chaque être présente un degré de développement qui lui est<br />

propre. N’en va-t-il pas de même pour les espèces ?<br />

1 Par logique, il faut bien entendu comprendre l’ordre de la nature.<br />

2 Ibid., III, p. 435.

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