28.02.2014 Views

LE MONSTRE, OU LE SENS DE L'ECART ESSAI SUR UNE ...

LE MONSTRE, OU LE SENS DE L'ECART ESSAI SUR UNE ...

LE MONSTRE, OU LE SENS DE L'ECART ESSAI SUR UNE ...

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

176<br />

tel-00846655, version 1 - 19 Jul 2013<br />

qu’elles provoquent n’émane-t-elle pas justement de ce qu’elles semblent faire échec aux<br />

catégories de la raison ? Poser la question « qu’est-ce que… ? » à leur égard, c’est peut-être<br />

non pas tant saisir une essence commune que mettre au jour une logique commune, un<br />

processus commun. Si les causes qui sont à l’origine des anomalies restent accidentelles et<br />

réfèrent donc aux expériences singulières du vivre de chacun, l’écart qui s’ensuit recèle une<br />

logique qui se retrouve dans tous les écarts. Le paradoxe est que l’accident au niveau de<br />

l’embryogenèse donne lieu à des effets communs.<br />

Donc, qu’est-ce qu’une anomalie indépendamment de ses degrés ? Elle est un ordre<br />

« également régulier, également soumis à des lois ». 1 Les monstruosités ont leur harmonie,<br />

leur forme, leur structure parfaitement déterminées : telle modification en entraîne telle autre<br />

selon telle proportion en vue du tout organique. Le monstre présente un ordre, mais un ordre<br />

autre. On reviendra plus tard sur la question de l’altérité du monstre. Notons d’abord cette<br />

autre question : comment expliquer cet ordre autre que celui des êtres normaux ? Autrement<br />

dit, quel est cet écart qu’introduit l’anomalie ? Cet écart, c’est précisément un arrêt. Dans<br />

l’embryogenèse où tout se forme, tout se développe, tout se compose, où précisément<br />

l’organisme est en train de s’organiser en organisme 2 , l’écart ne peut être qu’un arrêt ou un<br />

excès, une suspension ou une poursuite indue. L’organisme monstrueux présente une forme<br />

finale qui, en partie, aurait dû passer, ou qui déborde vers une autre forme spécifique ; il est<br />

un être en défaut de genèse. Il est en quelque sorte un arrêt sur image, ou plus exactement il<br />

serait une image qui continuerait à défiler sauf sur un point qui resterait invariablement fixe.<br />

Le monstre fixe ce qui n’aurait dû être que transitoire. Pour les Geoffroy Saint-Hilaire, si le<br />

monstre peut être un témoin, il n’est pas le témoin du passé de la nature – ou disons pas<br />

directement – mais celui du passé embryonnaire de l’être vivant.<br />

A l’idée d’êtres bizarres, irréguliers, elle [la science] substitue celle, plus vraie et plus<br />

philosophique, d’êtres entravés dans leurs développements, et où des organes de l’âge<br />

embryonnaire, conservés jusqu’à la naissance, sont venus s’associer aux organes de l’âge<br />

fœtal. 3<br />

Geoffroy Saint-Hilaire retrouve ainsi une vieille idée qui caractérisait les monstres : le<br />

mélange. Mais alors qu’on pensait que le mélange était celui entre des espèces différentes, il<br />

établit qu’il est un mélange entre deux temps, deux âges, deux ordres temporels différents :<br />

« c’est le mélange d’un ordre ancien et d’un ordre nouveau, la présence simultanée de deux<br />

états qui, ordinairement, se succèdent l’un à l’autre » 4 . A partir de là, le rôle épistémologique<br />

de la notion de mélange n’est pas le même. En effet, si le monstre est le résultat du mélange<br />

de deux espèces différentes, il n’appartient alors ni à l’une ni à l’autre, et il devient un être<br />

1 Traité de tératologie, I, p. 18.<br />

2 Nous avons parfaitement conscience du caractère finaliste de cette formule : l’organisme se précéderait en<br />

quelque façon dans l’embryogenèse sans pour autant que cette précession soit une préformation ou une<br />

préexistence. La génétique a cherché d’abord à rendre compte de cette précession en faisant appel à la notion de<br />

« programme génétique », mais la mise au jour de régulations par la cellule qui agissent sur la fonction même<br />

des gènes invite aujourd’hui à abandonner cette notion, qui connote une trop grande « rigidité ».<br />

3 Traité de tératologie, p. 18.<br />

4 Ibid., I, p. 18.

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!