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LE MONSTRE, OU LE SENS DE L'ECART ESSAI SUR UNE ...

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tel-00846655, version 1 - 19 Jul 2013<br />

universelle. Il paraît dès lors logique de comprendre les monstres comme des écarts par<br />

rapport à cette légalité, c’est-à-dire comme des irrégularités. Mais s’ils sont irréguliers par<br />

rapport aux lois de la nature, ils deviennent des échecs, des vices, des impuretés, bref des<br />

anormaux.<br />

Il revient alors à Canguilhem de souligner le paradoxe de cette position.<br />

Dans une telle vue, le singulier, c’est-à-dire l’écart, la variation, apparaît comme un échec,<br />

un vice, une impureté. Le singulier est donc toujours irrégulier, mais il est en même temps<br />

parfaitement absurde, car nul ne peut comprendre comment une loi dont l’invariance ou<br />

l’identité à soi garantit la réalité est à la fois vérifiée par des exemples divers et impuissante à<br />

réduire leur variété, c’est-à-dire leur infidélité. 1<br />

Or tout se passe comme si Geoffroy Saint-Hilaire voulait échapper à ce paradoxe tout<br />

en conservant les termes qui l’induisent. En effet, Canguilhem fait remarquer que si paradoxe<br />

il y a, c’est que la notion de loi est encore tributaire de la notion de genre, immuable et réelle,<br />

« de sorte que le rapport de la loi au phénomène (la loi de la pesanteur et la chute du tesson<br />

qui tue Pyrrhus) est toujours conçu sur le modèle du rapport entre le genre et l’individu<br />

(l’Homme et Pyrrhus) » 2 . Force est de noter que Geoffroy Saint-Hilaire continue à user de la<br />

notion de type et à mettre les individus en rapport avec elle.<br />

Mais, où nos yeux ne voient que des individus, notre esprit sait voir le type ; dans leur<br />

existence éphémère, il aperçoit l’espèce elle-même, l’une des unités permanentes de la nature,<br />

comme a si bien dit Buffon. 3<br />

Donc, il semble bien que la loi tératologique est celle qui dit l’impossibilité pour le<br />

singulier de correspondre au type qui serait comme l’exemplarité des effets de la loi et ce qui<br />

lui assure sa légalité dans la nature. Mais les choses ne sont pas si simples, et Geoffroy Saint-<br />

Hilaire, tout en maintenant l’idée de type commun ou idéal, cherche déjà sans nul doute à<br />

arracher la notion de loi de celle du genre dans le domaine biologique.<br />

S’il est vrai que « le singulier joue son rôle épistémologique non pas en se proposant<br />

lui-même pour être généralisé, mais en obligeant à la critique de la généralité antérieure par<br />

rapport à quoi il se singularise » 4 , alors Geoffroy Saint-Hilaire fait un usage épistémologique<br />

pertinent du concept de singulier, car nous avons pu nous apercevoir qu’il lui sert à critiquer<br />

toutes les généralités qui laissent trop de singularités par devers elles. Les théories des<br />

anomalies et surtout des monstruosités qui, pour être générales, « produisent » trop de cas<br />

singuliers et d’exceptions sont rejetées. Geoffroy Saint-Hilaire ne cesse donc pas d’opposer à<br />

la prétention à la généralité des cas singuliers. Mais cela ne le conduit pas pour autant à<br />

postuler que la science du vivant ne serait qu’une connaissance du singulier, et que les<br />

monstres en particulier seraient des singuliers irréductibles à toute théorie, en sorte qu’ils<br />

1 Georges Canguilhem, La connaissance de la vie, Paris, Vrin, 1992, pp. 156-157.<br />

2 Ibid., p. 157. Canguilhem assume ici une analyse entreprise par Bergson dans L’évolution créatrice, Paris,<br />

quadrige / PUF, édition critique, 2009, chapitre III, pp. 227-231.<br />

3 HGRO, op. cit., p. 363.<br />

4 Georges Canguilhem, « Du singulier et de la singularité en épistémologie biologique » dans Etudes d’histoire<br />

et de philosophie des sciences concernant les vivants et la vie, Paris, Vrin, 1994 (noté ultérieurement Etudes), p.<br />

219.

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