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LE MONSTRE, OU LE SENS DE L'ECART ESSAI SUR UNE ...

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tel-00846655, version 1 - 19 Jul 2013<br />

qu’il refuse que cette influence soit comprise sur le mode de l’empreinte ou de la signature.<br />

De même, il n’admet pas qu’elle ne soit pas visible : une vive passion a des effets physiques<br />

quasi immédiats, même si l’on ne sait pas au juste par quel mécanisme elle agit sur le corps. Il<br />

suffit à Geoffroy Saint-Hilaire que le lien entre le moral et le physique soit attesté par<br />

l’expérience pour faire des troubles moraux des causes tératologiques à part entière. Dès lors,<br />

il retrouve le schéma de l’action mécanique extérieure ; ce qui change, c’est que cette action<br />

mécanique n’est plus extérieure. Ainsi une violente commotion morale a-t-elle pour effet une<br />

violente commotion physique qui va venir troubler les conditions d’existence de l’embryon.<br />

Aussi la discussion ne porte-t-elle pas sur le bien-fondé des troubles moraux comme causes<br />

tératologiques, mais sur le degré de leurs effets sur l’organisme et par voie de conséquence<br />

sur l’embryon qui est en son sein. Aussi Geoffroy Saint-Hilaire juge-t-il l’effet physique des<br />

affections morales faibles et momentanées suffisamment minimes pour ne pas venir troubler<br />

les conditions d’existence de l’embryon. C’est dans cette dernière catégorie qu’il situe l’effet<br />

de l’imagination. Nous constatons donc que cette triple distinction n’a d’autre but que de<br />

pouvoir mieux répertorier et mieux mesurer les différents cas singuliers que ne manquent pas<br />

d’être les monstruosités et les anomalies.<br />

3. Le singulier et le type commun<br />

Quel statut donner au singulier ?<br />

Toute cette discussion sur la nature des causes en tératologie de la part de Geoffroy<br />

Saint-Hilaire met en pleine lumière le problème du concept de singulier en biologie. En se<br />

penchant plus particulièrement sur les anomalies et les monstruosités, la tératologie choisit<br />

explicitement l’étude d’êtres singuliers. On peut même avancer l’idée que les monstres sont<br />

des cas exemplaires du singulier, en quelque sorte des singuliers du singulier, et la différence<br />

entre les êtres normaux et eux réside en ce que leur singularité fait saillie et frappe. Ils ne font<br />

que rendre manifeste ce qui est la règle partout en biologie, à savoir qu’« un lion n’est pas le<br />

lion ; un taureau, un bœuf, une vache, une génisse ne sont pas le bœuf, et pour prendre en<br />

nous-mêmes un dernier exemple, l’anatomie d’un homme n’est pas l’anatomie humaine » 1 . A<br />

ce titre, ils paraissent inclassables parce qu’ils semblent uniques dans leurs différences ;<br />

monstrueux ils le sont parce que leurs différences ne se laissent pas de prime abord réduire à<br />

du semblable et du connu. Mais s’ils brillent dans leur isolement même, c’est qu’ils se<br />

détachent du fond gris et monotone de la production du semblable – les êtres vivants, dans<br />

leur singularité même, reconduisent des constantes, des structures permanentes, des unités de<br />

composition. La noire et inquiétante clarté des monstres jette alors paradoxalement le jour sur<br />

le travail silencieux et invisible des lois de la nature. C’est lorsqu’elles semblent prises en<br />

défaut par l’isolement des monstres qu’elles affirment leur prétention à constituer une légalité<br />

1 I. Geoffroy Saint-Hilaire, HGRO, op. cit., p. 362.

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