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LE MONSTRE, OU LE SENS DE L'ECART ESSAI SUR UNE ...

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2. Art et monstre<br />

tel-00846655, version 1 - 19 Jul 2013<br />

Le problème de la représentation artistique du monstre : la forme monstrueuse<br />

Si ni l’image ni le discours ne peuvent montrer le monstre en lui-même, parce qu’ils<br />

n’arrivent finalement pas à suspendre son érotisme, l’art le peut-il ? L’infidélité de la<br />

représentation artistique ne pourrait-elle pas introduire à une autre fidélité, plus authentique,<br />

aux choses mêmes ? Bref, pouvons-nous demander à l’art de nous livrer l’accès aux monstres<br />

mêmes, dans la mesure où il serait plus sensible à la dimension imaginaire que l’illustration<br />

« objective » cherche à évacuer ?<br />

Cette dimension objective de l’illustration se fait jour au XVII ème siècle, sans doute<br />

même dès le XVI ème . En effet, le monstre commence à être appréhendé comme une chose<br />

intéressante, c’est-à-dire « excitante intellectuellement » 1 . Il ne s’agit plus de s’en effrayer<br />

seulement, mais de le comprendre, de sorte que le dessin ne se veut pas une représentation<br />

charriant fantasmes, peur, attirance, sentiment de prodige, mais une illustration donnant à voir<br />

le monstre tel qu’il est, ou tel qu’on croit qu’il est – même si les choses sont plus compliquées<br />

à la Renaissance dans la mesure où de mêmes illustrations circulent et servent souvent à<br />

mettre en image des cas de monstruosité fort différents. Mieux : la main qui trace cherche sur<br />

le papier à débrouiller les lignes embrouillées par la nature ; dans le mouvement qu’elle<br />

effectue elle vise à pénétrer et répéter la logique du mouvement que la nature a suivie ; le<br />

dessin, en un mot, est en soi un acte de connaissance, et la main rien d’autre qu’une autre<br />

forme de la raison. Aussi les monstres dessinés sont-ils assez souvent dépouillés de toute une<br />

mise en scène et absents de tout décor : ils ne représentent plus qu’eux-mêmes et le dessin<br />

illustre la raison au travail. Au XIX ème siècle, avec l’essor de l’anatomie comparée, le dessin<br />

aura encore gagné en abstraction, puisqu’il s’agira de mettre sous les yeux les pièces<br />

anatomiques sur lesquelles et avec lesquelles on raisonne. Le dessin se voudra être une<br />

géométrie anatomique, c’est-à-dire, non plus une monstration, mais une démonstration.<br />

Mais, pour en arriver à cette rationalisation, il aura fallu qu’il s’épure de toutes les<br />

ambiguïtés dont il fut le réceptacle. Car s’il a visé une objectivité du regard, il n’a été que<br />

rarement objectif, pour ne pas dire jamais, tant les représentations du monstre et son érotisme<br />

prégnant tendent à annuler toute la mise à distance qui s’avère pourtant nécessaire au<br />

processus d’objectivation. L’ambiguïté du dessin se situe précisément à ce niveau :<br />

l’entremêlement d’une visée objective et des prégnances d’un regard qui reste fasciné et<br />

« pris » par son objet confère au monstre dessiné une figure dont le statut n’est ni celui de<br />

l’art ni celui d’une représentation scientifique, mais celui d’un entre-deux. Il n’est plus un<br />

prodige, mais encore un scandale pour que le regard soit médusé et y décèle encore des<br />

caractères légendaires de jadis. D’où cette précision des détails, cette exhaustivité des traits<br />

extraordinaires, la sobriété de la mise en scène – la figure du monstre se suffisant à elle-même<br />

1 Michel Ribon, Archipel de la laideur, Paris, éditions Kimé, 1995, p. 243.

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