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LE MONSTRE, OU LE SENS DE L'ECART ESSAI SUR UNE ...

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tel-00846655, version 1 - 19 Jul 2013<br />

débat engagé, au sein de l’Académie royale des sciences de 1724 à 1743, entre Duverney puis<br />

Winslow d’une part et Lémery d’autre part comme le point archimédien de cette histoire : il<br />

fait basculer l’étude des monstruosités, sinon dans le champ de la science, du moins dans la<br />

voie y menant tout droit. Or ce débat a eu pour mérite d’envisager la possibilité que les<br />

monstruosités pouvaient être accidentelles et non renvoyer à une origine primitive, à un germe<br />

déjà monstrueux. En fait, c’est là l’objet véritable de ce chapitre : définitivement débouter la<br />

théorie des germes monstrueux.<br />

On arrive ainsi, par toutes les voies, à la même conséquence générale, savoir : l’origine<br />

accidentelle et non primitive des anomalies. L’hypothèse des germes prédestinés à la<br />

monstruosité ne doit plus figurer aujourd’hui que dans l’histoire du passé de la science : au<br />

système contraire appartient son avenir. 1<br />

Mais comme l’autre alternative du débat est la théorie de l’accident, la seconde<br />

conséquence est alors que l’étude étiologique des monstruosités est celle des causes<br />

accidentelles. Mais en quoi l’accident peut-il être un objet de science ? Nous nous retrouvons<br />

devant une nouvelle difficulté qui a la nature d’un dilemme : ou bien la tératologie est une<br />

science qui cherche à découvrir des lois générales qui s’appliquent à l’objet qui est le sien,<br />

mais alors nous sommes mis devant ce nœud entre embryologie et tératologie qu’il est bien<br />

difficile de débrouiller; ou bien elle se cantonne dans le relevé des accidents qui provoquent<br />

les monstruosités, et le risque n’est-il pas alors de retomber dans le travers des traités<br />

préscientifiques qui n’étaient qu’un catalogue de prodiges et de faits singuliers ? Bref, quel<br />

statut scientifique donner à l’accident 2 ? Plus généralement, quel rôle faire jouer au fait<br />

singulier en biologie ? La difficulté, qui dépasse le cadre de l’étude des monstruosités, est de<br />

comprendre comment la biologie peut devenir une science découvrant des lois générales alors<br />

que son matériau de départ est irrémédiablement des faits individuels 3 . Pour avoir une chance<br />

de sortir de ce dilemme, il faut en revenir au débat entre Winslow et Lémery, ou plus<br />

exactement il faut examiner comment Geoffroy Saint-Hilaire comprend ce débat.<br />

2. L’accident dans la tératologie<br />

Le sens du débat entre Winslow et Lémery<br />

Il ne fait aucun doute, comme nous venons de le souligner, que ce débat ouvre la<br />

possibilité d’envisager une origine accidentelle du monstre dans le contexte d’une domination<br />

1 Ibid., III, p. 506.<br />

2 Il est évident que Geoffroy Saint-Hilaire va chercher à surmonter ce dilemme dans le cadre d’une rationalité<br />

scientifique maintenant l’idée d’accident. Nous verrons dans la seconde partie, essentiellement au chapitre VIII,<br />

que la prise au sérieux de la singularité du monstre, qui s’enracine du reste ailleurs que dans la déviation, va<br />

nous conduire, pour notre part, à l’envisager autrement que comme un accident et à proposer, en conclusion, un<br />

autre modèle de la rationalité que celui scientifique.<br />

3 « Qu’est-ce qu’une généralité, et surtout une de ces hautes généralités que nous appelons lois ? En biologie<br />

comme en toute autre science, une abstraction de notre esprit qui, dans une seule notion, comprend, résume,<br />

concentre une multitude de notions particulières. Et qu’est-ce qu’un fait biologique ? Un résultat seulement<br />

individuel, vrai peut-être du seul individu chez lequel on le constate, et seulement dans l’instant où on le<br />

constate », HGRO, op. cit., p. 373.

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