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LE MONSTRE, OU LE SENS DE L'ECART ESSAI SUR UNE ...

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tel-00846655, version 1 - 19 Jul 2013<br />

dans la philosophie, car il ne s’interroge pas sur l’origine et la raison d’être de la présence<br />

d’une direction, d’un nisus formativus qui porte les organismes à aller vers eux-mêmes 1 . Mais<br />

il y a une leçon métaphysique à tirer d’ores et déjà des phénomènes monstrueux. Les monstres<br />

ne représentent pas le cimetière de la finalité et n’annoncent pas le règne du hasard 2 . Tout<br />

n’est pas possible dans les anomalies, voire même : tout ce qui est possible n’est pas<br />

nécessairement. Tout n’est pas possible en effet, car la limite fondamentale de la nature, la<br />

limite qui est au fondement de ses productions, et même qui la fonde elle-même, est la<br />

direction dans laquelle elle travaille. La nature est une direction, ou une visée, un pointer vers.<br />

Si E. Geoffroy Saint-Hilaire reprend à son compte le nisus formativus de Blumenbach, cela ne<br />

veut pas dire pour autant qu’il lui prête le sens fort d’un principe téléologique qui supposerait<br />

qu’une fin précède et fonde la tendance à la formation régulière. Dire de la nature qu’elle agit<br />

dans une direction déterminée ne signifie pas qu’on assigne à cette direction une fin<br />

prédéterminée, cela signifie qu’elle ne fait pas n’importe quoi. C’est pourquoi il est sans doute<br />

important de distinguer avec soin finalisme et finalité. Le finalisme consiste à élever l’idée de<br />

cause finale à un principe explicatif. Par exemple, telle est la fonction, tel est l’organe. Les<br />

Geoffroy Saint-Hilaire, en privilégiant le point de vue morphologique, cherchent à récuser le<br />

finalisme. Telles sont la forme et la structure de l’organe, telle est sa fonction. Toutefois,<br />

récuser le finalisme n’est pas récuser la finalité qui est plutôt de l’ordre d’un fait de la<br />

nature 3 ; c’est sur ce point que leur démarche ne peut pas être ramenée à celle des atomistes.<br />

Le problème est alors d’expliquer par une méthode non finaliste des phénomènes finalisés.<br />

Car dire des organismes qu’ils sont organisés à partir d’archétypes revient à introduire de la<br />

finalité, de même que faire une place à l’adaptation pour expliquer ensuite la diversité. Les<br />

monstres ne sont pas adaptés, et pourtant ils existent. Ils nient sans doute le finalisme comme<br />

principe biologique explicatif, mais pas la finalité, car ils ne sont pas des êtres dont on aurait<br />

jeté au hasard les éléments. Mais leur existence, pour possible qu’elle soit, n’est pas pour<br />

autant nécessaire car le surgissement des anomalies s’effectue avec le concours des accidents<br />

qui peuvent ne pas survenir, ou ne pas survenir dans des circonstances favorables. Aussi, si la<br />

direction est une constante nécessaire, c’est-à-dire si le fait qu’il y a une finalité au<br />

développement et à la formation, ou si l’on veut un terme, est une donnée permanente de la<br />

nature, en revanche, le cours de cette direction peut varier, ou dévier.<br />

1 On verra dans la seconde partie que l’interrogation sur les monstres apporte une réponse inattendue, puisqu’elle<br />

nous entraînera à dégager un plan de la vie où importe l’écart.<br />

2 « A cette question : qu’est-ce qu’un monstre ? la science répondait encore au commencement de ce siècle : Un<br />

jeu de la nature ; un être créé en dehors de toute règle, en l’absence de toute fin. Et la philosophie croyait pouvoir<br />

ajouter : C’est un échantillon de ces lois du hasard qui, selon les athées, doivent avoir enfanté l’univers ; Dieu<br />

les a permis pour nous apprendre ce que c’est que la création sans lui », Vie, travaux, op. cit., p. 259. Geoffroy<br />

Saint-Hilaire précise en note que les expressions en italique sont de Chateaubriand dans Génie du christianisme,<br />

citation qu’il a lui-même trouvé chez son père dans l’article « Monstre » du Dictionnaire classique d’histoire<br />

naturelle, op. cit., p. 150.<br />

3 Cf. Etienne Gilson, D’Aristote à Darwin et retour. Essai sur quelques constantes de la biophilosophie, Paris,<br />

Vrin, 2009, p. 46 : « Tenir la finalité hors de la science est une chose, la mettre hors la nature en est une toute<br />

différente. Au nom de quel principe scientifique peut-on exclure d’une description de la réalité un aspect de la<br />

nature aussi évident ? », et plus généralement chapitres I et II.

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