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LE MONSTRE, OU LE SENS DE L'ECART ESSAI SUR UNE ...

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136<br />

organisation plus simple, l’origine des êtres complexes qui peuplent aujourd’hui la surface du<br />

globe. 1<br />

Dans ce texte se dessinent deux étapes argumentatives. Tout d’abord, il s’agit de<br />

s’assurer que les excès de développement existent ; puis, dans la foulée, de tirer les<br />

conséquences théoriques, certes prudentes encore puisqu’il n’en va que d’une « hypothèse<br />

hardie et bien douteuse encore », à savoir une vue génétique de la série animale. A Cuvier, il<br />

n’oppose ainsi pas exactement l’hypothèse lamarckienne transformiste, car il ne s’agit que<br />

d’une hypothèse, et encore bien douteuse, mais un petit fait : les excès de développement. Ce<br />

petit fait ne vient pas élever la possibilité du transformisme à un fait confirmé et indubitable,<br />

mais enlève un obstacle épistémologique majeur au transformisme : la présence dans la nature<br />

de limites 2 ne rend pas impossible l’idée que les espèces puissent se transformer. La<br />

tératologie ne vient pas trancher le débat, mais apporter des nouveaux faits qui l’orientent en<br />

ceci que chacune des théories en présence doit nécessairement en rendre compte.<br />

tel-00846655, version 1 - 19 Jul 2013<br />

b) L’idée de limite et le problème de la finalité<br />

Il ne faut donc pas se méprendre sur le sens et la portée des limites qui innervent la<br />

nature : elles sont toutes franchissables (ce qui n’est pas le cas pour Cuvier, d’où l’usage du<br />

concept de hiatus) sans que la nature soit pour autant hors des limites. Car dans le<br />

dépassement d’une limite se rencontrent d’autres limites. Que la nature ne puisse pas tout<br />

dans les anomalies signifie qu’elle est toujours soumise à des limites même lorsqu’elle les<br />

dépasse 3 . Or dans les anomalies par excès ou par défaut de formation ou de développement,<br />

que s’agit-il au fond, de dépasser pour les excès, ou de ne pas atteindre pour les défauts ? Il<br />

s’agit d’un terme assigné à l’évolution des organes, des parties et de l’organisme dans sa<br />

totalité. Ce qui est manqué dans l’anomalie est la réalisation de cette fin, par arrêt ou bien par<br />

excès dans l’évolution ; ce qui est en revanche conservé est la direction même de l’évolution,<br />

à savoir l’orientation vers le terme normal.<br />

Ainsi tout excès, comme tout défaut de formation, de développement, a ses limites et<br />

ses règles, parce qu’ils résultent d’un changement, non dans la direction normale de<br />

l’évolution organique, mais seulement dans le terme, trop rapproché dans un cas, trop reculé<br />

dans l’autre, où l’évolution s’arrête. 4<br />

Les anomalies mettent en pleine lumière la téléonomie des phénomènes vivants, où<br />

tout se passe comme si le terme exact était connu dès le départ : l’organisme se précèderait<br />

ainsi lui-même, ou s’anticiperait lui-même dans sa propre construction de lui-même. Geoffroy<br />

Saint-Hilaire, néanmoins, reste dans le domaine scientifique et évite soigneusement de tomber<br />

1 Traité de tératologie, III, pp. 415-416, nous soulignons la conclusion.<br />

2 On pourrait donc dire que les Geoffroy Saint-Hilaire et Cuvier s’opposent sur la manière de comprendre l’idée<br />

de limite.<br />

3 C’est ce dont a déjà parfaitement conscience E. Geoffroy Saint-Hilaire : « les monstruosités ne s’écartent des<br />

formes de leur espèce qu’en revêtissant celles d’une autre : une anomalie dans un cas retombe dans ce qui est de<br />

règle ailleurs », Philosophie anatomique. Des monstruosités humaines, op. cit., p. 403. Cf. également p. 173.<br />

4 Traité de tératologie, III, p. 429.

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