28.02.2014 Views

LE MONSTRE, OU LE SENS DE L'ECART ESSAI SUR UNE ...

LE MONSTRE, OU LE SENS DE L'ECART ESSAI SUR UNE ...

LE MONSTRE, OU LE SENS DE L'ECART ESSAI SUR UNE ...

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

132<br />

Geoffroy Saint-Hilaire conçoit le vivant en partie comme une citadelle intérieure qu’il peut<br />

faire jouer un rôle fort à l’influence des circonstances extérieures et envisager comme possible<br />

l’idée d’une transformation des espèces, d’autant plus qu’il va lire les fossiles comme autant<br />

de preuves du passage du temps, c’est-à-dire comme des jalons intermédiaires entre les<br />

espèces disparues et les espèces contemporaines. Là aussi c’est une différence avec Lamarck :<br />

tandis que la présence des fossiles faisait plutôt difficulté pour sa théorie transformiste 1 , E.<br />

Geoffroy Saint-Hilaire interprète, peut-être pour la première fois le plus clairement possible,<br />

leur présence dans le sens de la possibilité du transformisme. Mais il va aussi demander des<br />

preuves aux monstres.<br />

L’apport de la tératologie dans le débat<br />

tel-00846655, version 1 - 19 Jul 2013<br />

a) Asseoir le principe d’unité de composition organique comme principe scientifique<br />

La tératologie apporte dans ce débat trois choses. La première chose est décisive dans<br />

la confrontation du structuralisme morphologique au fonctionnalisme. Si ce dernier met en<br />

avant les fonctions, c’est parce qu’il charge l’adaptation de jouer le rôle principal du<br />

mécanisme causal. Or les monstres suspendent la logique de l’adaptation 2 : ce sont des êtres,<br />

croisement des espèces. Ces expériences sont d’un grand intérêt, et peuvent conduire à des conséquences<br />

importantes, mais d’un autre ordre. Admettons que deux espèces ne puissent donner naissance, par leur mélange,<br />

à un type intermédiaire persistant : qu’y a-t-il à conclure de l’impossibilité de créer ainsi, subitement et<br />

brusquement, de nouvelles espèces, contre la possibilité de modifications graduellement et lentement produites<br />

dans l’organisation d’une espèce sous l’influence des circonstances extérieures ? » I. Geoffroy Saint-Hilaire ne<br />

semble pourtant pas avoir conscience d’une difficulté ici. Car l’anomalie, l’écart, par une cause perturbatrice,<br />

peut surgir assez brusquement, si nous anticipons ici les analyses que nous ferons au chapitre suivant sur la<br />

causalité tératologique. Or, dans la mesure où E. Geoffroy Saint-Hilaire fonde la possibilité du transformisme sur<br />

le surgissement même de l’écart et de l’irrégulier, inévitables dès lors que les êtres vivants sont confrontés aux<br />

circonstances extérieures, instables et parfois imprévisibles, comment affirmer la possibilité de modifications<br />

graduellement et lentement produites ? Dareste paraît bien plus conséquent en affirmant clairement la<br />

discontinuité des transformations. Franck Bourdier rappelle, du reste, au début de son article « Lamarck et<br />

Geoffroy Saint-Hilaire face au problème de l’évolution biologique » que Lamarck « admettait des<br />

transformations des espèces infiniment lentes et Geoffroy, au contraire, des transformations brusques » (p. 311).<br />

Les deux affirmations ne s’opposent peut-être pas si l’on songe à distinguer le point de vue de la variation et le<br />

point de vue de l’évolution. Il est clair que la variation est brusque chez Geoffroy Saint-Hilaire, tandis que les<br />

modifications internes, chez Lamarck, ne se font que lentement. Mais qu’une variation soit brusque, il ne<br />

s’ensuit pas nécessairement que l’apparition d’une nouvelle espèce le soit aussi. L’influence des circonstances<br />

extérieures peut être très graduelle, dans la mesure où elle élimine beaucoup des produits issus des variations<br />

brusques, de sorte que l’apparition d’une nouvelle espèce peut bien réclamer beaucoup de temps. On sait que<br />

Darwin fera de la modification graduelle et lente l’un des points majeurs de sa théorie ; mais, bien sûr, pour lui,<br />

le principe de transformation n’est pas l’influence des circonstances extérieures alliée à un nisus formativus,<br />

mais la seule sélection naturelle. Sur cette difficile question du rôle des circonstances extérieures chez E.<br />

Geoffroy Saint-Hilaire, nous renvoyons, une nouvelle fois, à l’article de Goulven Laurent « Le cheminement<br />

d’Etienne Geoffroy Saint-Hilaire (1772-1844) vers un transformisme scientifique », op. cit., pp. 66-70.<br />

1 Si le transformisme de Lamarck s’appuie sur une tendance à la complexification des espèces, il y a une<br />

coexistence entre les espèces simples et les espèces complexes (du fait des générations spontanées) : Lamarck ne<br />

parvient pas à rendre compte de l’extinction d’espèces. Comme l’analyse Pichot, « paradoxalement, les fossiles,<br />

qu’on considère habituellement comme une preuve paléontologique de l’évolution, sont une difficulté dans la<br />

thèse transformiste lamarckienne », Histoire de la notion de vie, op. cit., p. 654. Sur cette difficulté, cf. plus<br />

généralement pp. 654-658.<br />

2 Nous tirerons toutes les conséquences métaphysiques de ce point dans notre seconde partie, principalement aux<br />

chapitres VII et VIII.

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!