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LE MONSTRE, OU LE SENS DE L'ECART ESSAI SUR UNE ...

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tel-00846655, version 1 - 19 Jul 2013<br />

raison pour qu’ils se modifient par eux-mêmes. Le principe d’unité de composition est bien<br />

plutôt un facteur de stabilité et de régularité, de sorte, qu’au contraire de Lamarck, il est enclin<br />

à déceler comme nisus formativus une tendance à la stabilité du type 1 . S’ils se transforment,<br />

c’est, comme le dit son fils, parce qu’ils sont contraints. Mais qu’est-ce qui peut ainsi les<br />

contraindre si ce n’est le milieu extérieur ? Il y a transformation des vivants parce qu’il y a<br />

une influence du monde extérieur. Cette idée n’est pas neuve – Buffon en faisait usage,<br />

Lamarck aussi. E. Geoffroy Saint-Hilaire comme Lamarck lui donnent un cadre transformiste<br />

en abandonnant l’idée de dégénération qui l’accompagnait chez le naturaliste du XVIII ème<br />

siècle et en cherchant à ne plus faire de l’adaptation, comme le fait Cuvier, un obstacle<br />

épistémologique pour penser le transformisme. Chez Lamarck, la tendance interne à la<br />

complexification, qui permet de rendre compte de la marche régulière et scalaire de la nature<br />

(qui ferait que les êtres vivants pourraient être classés dans une seule et même série), se heurte<br />

cependant aux circonstances extérieures, qui produisent dans la marche de la nature des<br />

irrégularités et des écarts. En effet, dans la mesure où les vivants doivent s’adapter aux<br />

circonstances, celles-ci entraînent des besoins qui réclament des fonctions spécifiques, et par<br />

conséquent la création de nouveaux organes 2 . Cela explique que la série des vivants se donne<br />

sous la forme d’une arborescence d’espèces multiples et variées 3 . Mais il semble que, pour<br />

Lamarck, c’est la tendance interne à la complexification qui est le moteur de la transformation<br />

complexification est bien la cause première du transformisme lamarckien, et que l’influence des circonstances<br />

extérieures ne peut se comprendre qu’en fonction de cette tendance première : par exemple, « l’adaptation au<br />

milieu, le développement individuel et la transformation des espèces ont ainsi tous trois le même moteur qui est<br />

la tendance à la complexification des êtres vivants, du moins des animaux », Histoire de la notion de vie, Paris,<br />

Gallimard, 1993, p. 677 ; cf. aussi sa présentation à Philosophie zoologique, Paris, GF-Flammarion, 1994.<br />

1 Le nisus formativus est ainsi identifié dans Philosophie anatomique. Des monstruosités humaines à « la<br />

tendance à la formation régulière » (p. 494) qui « préside à toute construction organique » (p. 204). Cette<br />

définition est reconduite dans l’article « Monstre » du Dictionnaire classique d’histoire naturelle, op. cit., p. 120.<br />

E. Geoffroy Saint-Hilaire ne dissimule pas ici son emprunt à Blumenbach, naturaliste allemand (1752-1840), qui<br />

parle aussi de Bildungstrieb (pulsion formatrice). Sur cette notion, cf. Stéphane Schmitt, Aux origines de la<br />

biologie moderne. L’anatomie comparée d’Aristote à la théorie de l’évolution, Paris, Belin, 2006, pp. 181-187.<br />

Toutefois, E. Geoffroy Saint-Hilaire insiste sur l’idée que le nisus formativus à un « caractère d’omnipotence »<br />

(p. 204), que son action « n’est jamais interrompue » (p. 491), alors que Blumenbach conçoit qu’il peut<br />

s’affaiblir au cours de la vie. Cf. aussi Goulven Laurent, « Le cheminement d’Etienne Geoffroy Saint-Hilaire<br />

(1772-1844) vers un transformisme scientifique », op. cit., p. 66.<br />

2 Lamarck partage avec Cuvier un point de vue fonctionnaliste, où la fonction fait l’organe. Mais, comme André<br />

Pichot le montre, il cherche à fonder ce fonctionnalisme sur un processus purement mécanique faisant intervenir<br />

le mouvement des fluides internes : Histoire de la notion de vie, op. cit., pp. 669-679.<br />

3 « En attendant, je vais faire voir que la nature en donnant, à l’aide de beaucoup de temps, l’existence à tous les<br />

animaux et à tous les végétaux, a réellement formé dans chacun de ces règnes une véritable échelle relativement<br />

à la composition croissante de l’organisation de ces êtres vivants ; mais que cette échelle, qu’il s’agit de<br />

reconnaître, en rapprochant les objets d’après leurs rapports naturels, n’offre des degrés saisissables que dans les<br />

masses principales de la série générale, et non dans les espèces, ni même dans les genres : la raison de cette<br />

particularité vient de ce que l’extrême diversité des circonstances dans lesquelles se trouvent les différentes races<br />

d’animaux et de végétaux n’est point en rapport avec la composition croissante de l’organisation parmi eux, ce<br />

que je ferai voir ; et qu’elle fait naître, dans les formes et les caractères extérieurs, des anomalies ou des espèces<br />

d’écarts que la composition croissante de l’organisation n’aurait pu seule occasionner », Lamarck, Philosophie<br />

zoologique, op. cit., p. 134. Et au chapitre suivant, il peut énoncer son principe zoologique : « La progression<br />

dans la composition de l’organisation subit, çà et là, dans la série générale des animaux, des anomalies opérées<br />

par l’influence des circonstances d’habitation, et par celle des habitudes contractées », p. 153. Sur ce point, cf.<br />

Yvette Conry, « L’idée d’une “marche de la nature” dans la biologie prédarwinienne au XIX e siècle », op. cit.

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